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Enseignements d'Anam Thubten

Video en anglais sur le site https://www.dharmata.org/

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Dissoudre les négativités dans la vacuité -  Enseignement du 12 septembre 2021

 

 Tout dernièrement, un groupe de lamas tibétains est venu à notre ermitage de Big Sur en Californie du Nord, où ils ont accompli une puissante cérémonie en utilisant une sadhana, une cérémonie du bouddhisme tantrique, basée sur la déité Vajrakilaya. Ce fut très puissant pour moi d'assister à cette cérémonie qui avait pour but de consacrer le terrain sur lequel nous allions construire un stupa. Un stupa est une construction sacrée qui symbolise l'esprit éveillé du Bouddha. Il y a de nombreux types de stupa en Asie. Il y a des stupa partout, leur forme diffère, mais ils représentent toujours l'esprit éveillé ou l'esprit de Bouddha.


Dans la tradition tibétaine, les gens font de longues cérémonies pour bénir le sol sur lequel le stupa va être construit. Durant la cérémonie, nous avons creusé un trou dans lequel nous avons enterré une effigie, l’image d'un homme émacié sur une feuille de papier. Nous avions dessiné cette effigie, cet homme émacié, faible et défait qui est en fait une représentation symbolique de toutes les négativités, qu'il s'agisse de guerre, de violence, de haine, de disharmonie ainsi que de nos propres négativités. Nous l'avons enfouie dans le sol en faisant des prières d’aspiration afin que les nombreuses négativités présentes dans le monde, qu'elles soient internes ou externes, soient d’une manière ou d’une autre maîtrisées, en tout cas c'était l'intention sous-jacente à cette cérémonie. Bien sûr, ultimement, il nous faut travailler chacun de notre côté pour purifier et transcender les négativités en comprenant la nature de la réalité.

 Pendant les pauses, il y avait toujours des conversations amicales et collégiales entre les participants ainsi qu'entre les lamas. J'ai eu une conversation très stimulante avec un Lama à propos du stupa ainsi que sur l'état présent du monde, et nous avons tous les deux convenu qu'il était merveilleux de créer maintenant ce merveilleux monument sacré. Dans la culture tibétaine, les gens construisent des stupa pour purifier les négativités, pas seulement les négativités dans la vie d'une personne mais les négativités présentes dans la vie de beaucoup. Ce Lama a dit que nous sommes aujourd’hui à un croisement dans l'histoire de l'humanité, et que de nombreuses voies se révèlent à nous, peut- être plus de voies que jamais ; et d'une certaine manière, nous ne savons pas quelle voie prendre en tant qu'humanité.

 Bien sûr, individuellement, on peut choisir sa propre voie, la voie de l'amour, la voie de la compassion, la voie de la sagesse, mais on ne sait pas comment tout cela va se développer et quelle voie l'humanité va prendre. En ce moment, il y a de nombreuses voies qui se présentent à nous, plus que jamais, et il se peut qu’en tant qu'humanité nous en prenions une qui ne soit pas si bonne et qui nous fasse descendre, tomber encore plus dans le chaos, la confusion et la division. Ou nous pouvons aussi prendre la voie de l'amour et de la lumière, de manière à évoluer ensemble afin que le monde continue à s'améliorer, de sorte qu’il contienne plus de bienveillance, de sagesse ainsi que plus de bonheur.


 Il semble donc que l'on soit vraiment à un croisement, un carrefour dans l'histoire de l'humanité. Cela me rappelle cette phrase d'une célèbre pratique bouddhiste tibétaine, les « Sept points de l’entraînement de l’esprit », qui a été écrite par un grand maître, Gueshé Chekawa, au douzième siècle. Cette phrase dit « Quand le monde est plein de négativités, transforme l’adversité en la voie vers l'éveil. » C’est une traduction brute de cette phrase. Bien sûr, il y a beaucoup de précieuse sagesse dans cet enseignement. C'est un de mes enseignements préférés. En fait, il est assez bref mais j'aime le contempler et trouver à quel point cet enseignement est utile.

 Peut-être que beaucoup d'entre vous ont étudié et pratiqué ce texte particulier des sept points de l'entraînement de l'esprit et en un certain sens, je ressens que ce monde est actuellement en quelque sorte similaire au monde tel qu'il est décrit dans ce texte. Il semble que d’une certaine manière, le monde soit rempli de négativités. Ce n’est peut-être pas vrai, je partage simplement ma propre expérience, mais quand je discute avec toutes sortes de personnes, elles ressentent toutes que, en ce moment, nous vivons une époque tellement chaotique et tellement brutale… Finalement, bien sûr, je crois et beaucoup de gens considèrent que le monde continue à évoluer vers le meilleur.

Bien sûr, le changement climatique se produit sous nos yeux et il va continuer à empirer. Il nous faut tenir tout le monde, les gens, les animaux et les générations futures dans nos prières, mais du point de vue de la conscience, je pense que nous allons continuer à évoluer. En ce moment, le monde traverse une énorme purification karmique. La purification karmique est souvent une affaire de processus multiples. Ce n'est pas entièrement  mauvais de traverser toutes les négativités que nous traversons en ce moment. Je pense que nous lâchons prise sur beaucoup de choses. On laisse tomber certaines habitudes collectives qui ne sont pas tellement bienveillantes, et on réalise ce qui est bon pour tout le monde et pas simplement pour quelques-uns et ce qui fonctionne pour tout le monde. On voit aussi beaucoup de choses, certaines structures ou des pratiques culturelles qui ne sont pas bonnes pour l'humanité et on les laisse tomber.

 Ainsi, le monde entier traverse en ce moment un merveilleux désordre, une énorme purification karmique, et je suis assez positif envers tout cela, en particulier envers l'évolution intérieure de la conscience humaine. Par contre, je ne sais pas ce qui va se produire en termes de monde physique. Je ne peux pas être trop optimiste, en particulier quand on amène le changement climatique dans le tableau mais ultimement et spirituellement, je suis plutôt optimiste. Cependant, on sent qu'il y a beaucoup de négativités partout dans le monde. Les gens sont soucieux, l'angoisse augmente, et des choses auxquelles on a tenu en tant que base de notre sécurité et de notre confort s'effondrent sous nos yeux. Le système tout entier est en train de s'effondrer de toutes parts, les anciennes normes meurent, de nouvelles apparaissent, mais on ne sait pas encore à quoi ressembleront ces nouvelles normes. Notre cerveau est vraiment inconfortable lorsqu'il y a une période d'inconnu. Il y a beaucoup d'inconnues, même si tôt ou tard, en tant qu'humanité, nous nous poserons un peu à un endroit où nous saurons plus ou moins où nous sommes. Mais pour le moment, il y a beaucoup d'inconnues parce que beaucoup d'anciennes normes se dissolvent, tandis que les nouvelles n'ont pas pleinement émergé. Donc, les gens sont plutôt anxieux et très soucieux, peut-être plus que jamais.


 J’ai grandi dans l'Himalaya et je ne me souviens pas qu'il y ait eu tant de soucis, même s’il y avait beaucoup de pauvreté. C'est très intéressant. Ce matin, je me promenais et je me suis vu dans un miroir. Ces temps-ci il est difficile d'éviter les miroirs, il y en a partout. Si vous allez dans un magasin, il y a des miroirs partout et si vous rendez visite à quelqu'un, la maison est toujours pleine de miroirs, on ne peut pas éviter les miroirs. Du coup, j'ai vu ma propre image, ce qui était plutôt intéressant. On utilise souvent les miroirs dans notre vie quotidienne pour s'assurer que notre aspect est correct, mais je me souviens que lorsque je grandissais dans l'Himalaya, les miroirs étaient extrêmement rares ; peut-être que mes ancêtres n'y avaient pas accès autrefois. Le miroir est régulièrement mentionné en tant qu’objet sacré dans les cérémonies bouddhistes. Parfois, les lamas ou les maîtres Vajra qui président aux cérémonies tiennent un miroir, mais ces miroirs sont souvent faits de métal, en particulier de bronze, et il ne reflètent pas vraiment très bien votre image. Peut-être que l'une des rares fois où les gens voyaient leur image était quand ils regardaient dans l'eau. Alors ils voyaient leur image. On voit le reflet de son visage dans l'eau et souvent ce n'est pas parfait, souvent c'est un peu une caricature de nous-même. Beaucoup de gens autrefois au Tibet, mes ancêtres par exemple, n’avaient pas tellement idée de qui ils étaient, de ce à quoi ils ressemblaient. Peut-être qu'ils n'avaient pas tant de fixation sur leur image, l’image qu’ils offraient au monde.

 Mais maintenant, vous voyez, dans ce monde moderne, les gens sont tellement confus à propos de toutes sortes de soucis. À l'évidence, autrefois il n’y avait pas de smartphone. Maintenant, tout le monde se promène avec un smartphone. En un certain sens, le smartphone est une chose merveilleuse parce qu'elle vous permet de vous connecter avec n'importe qui dans le monde - dans la mesure où il y a du réseau. Nous vivons également à l'âge de l'information, et on peut trouver toutes les informations que l'on recherche avec un smartphone. Autrefois si on voulait lire des soutras bouddhistes il fallait aller dans des temples pour les trouver ; maintenant il n’y a besoin d'aller nulle part, il suffit juste de rechercher "soutra bouddhiste" dans l'Internet, et il se présente des volumes et des volumes de soutras. Il faudrait la durée d'une vie pour les lire. Mais le smartphone a également un impact très négatif sur notre vie parce qu'il est très distrayant. C'est pourquoi les gens consultent leur smartphone en permanence quand ils marchent, quand ils mangent, quand ils parlent. Dans une certaine mesure, cela nous déconnecte de la nature et aussi les uns des autres.

 Il y a aussi le cycle d'informations qui s'attaque en permanence à notre psychisme. Je pense que notre corps subtil et même notre psychisme, même les chakras, pas seulement notre esprit mais même notre corps subtil, sont bombardés, attaqués en permanence par toutes ces séries de nouvelles négatives. On entend en permanence toutes ces mauvaises nouvelles et lorsqu'on regarde les journaux, c'est toujours plus ou moins négatif et mauvais, même s'il se produit toutes sortes de choses merveilleuses dans le monde. Il y a des actes de bonté et des gens dont je suis sûr qu’ils deviennent éveillés, mais personne ne rapporte l'éveil de qui que ce soit, ce qui est compréhensible parce que l'éveil est quelque chose de très subtil. Ce n'est pas quelque chose dont les gens peuvent dire « tiens, aujourd'hui elle s'est éveillée, regarde son aura» C’est beaucoup plus subtil que cela.  Et si quelqu'un dit « je suis éveillé », c'est peut-être le premier signe du fait qu'il n'est pas éveillé.


 Habituellement, quand les gens deviennent éveillés, ils ne se promènent pas tout fiers d’eux parce qu'ils sont éveillés. Toute forme de fierté est en rapport avec l'ego. Il est très compréhensible qu'il n'y ait pas d'agence d'information qui rapporte l'éveil ou la transformation de la conscience de qui que ce soit. En fait, je pense que les actes de bonté, de générosité ou de compassion sont très évidents et pourraient faire l'objet d'un reportage, mais il semblerait qu'on soit plutôt bombardé par des mauvaises nouvelles en boucle. Il apparaît finalement que le monde est un endroit vraiment négatif et qu’il n'y a pas de bonté dans l'humanité. Ce n'est pas vrai. Il y a beaucoup de bonté dans l'humanité, il y a plus de bonté que de négativités dans le monde. Il y a énormément de bonté, et la plupart du temps nous sommes en fait entourés de bonté plus que de négativité.

 Bien sûr, il y a la nature de Bouddha en chaque être humain mais il y a aussi tellement de bodhisattvas, et j'ai parfois tendance à appeler beaucoup de mes amis des bodhisattvas. Je n'utilise pas ce terme à la légère parce que dans la tradition bouddhiste, être un bodhisattva est très spécifique, cela désigne quelqu'un qui a un cœur immense, qui fait preuve d'altruisme, et je ressens authentiquement que beaucoup de mes amis sont des bodhisattvas. Je m’adresse souvent à eux en tant que bodhisattvas ; je ressens que je suis en fait entouré par tellement de bodhisattvas, et je ressens tellement de gratitude. Notamment il y a quelques jours, durant cette cérémonie particulière, j’ai ressenti que les gens qui m'entouraient à cette cérémonie étaient d’extraordinaires bodhisattvas. Je me suis senti tellement chanceux de rencontrer de tels individus.

 Quoi qu'il en soit, dans la tradition bouddhiste, il y a cette idée de dissoudre toutes les négativités dans ce qu'on pourrait appeler Dharmadatu, qui est un terme ésotérique sanskrit désignant la source suprême, la source d’où tout émerge et où tout se dissout, ou la vacuité. J’utilise le terme de vacuité plutôt que Dharmadatu, source suprême, parce qu’au moins le terme de vacuité est assez connu par beaucoup de pratiquants bouddhistes. Même des non-bouddhistes savent ce qu’est cette chose nommée vacuité et dont les bouddhistes sont fous. J'utilise donc le terme de vacuité - et ne vous en faites pas à propos de ce qu'est la vacuité. Parfois, la vacuité peut être transformée en une lourde philosophie qui fait que nous ressentons qu'il nous faut l'étudier, qu'il faut étudier tel ou tel système philosophique pour la comprendre. J'utilise ce terme plutôt en tant que notion intuitive qu'autre chose. Il y a une phrase dans de nombreuses cérémonies bouddhistes qui évoque le fait de dissoudre toutes nos négativités dans la grande vacuité. Quand je parle de négativités, je fais référence aux négativités qui sont mentionnées dans les sept points du Lojong, l'entraînement d'esprit.

 Si vous lisez des commentaires sur ce sujet, vous pourrez voir que ces négativités font référence à des choses telles que la guerre, la dysharmonie et la naissance des kleshas ou poisons intérieurs, ou des névroses telles que la colère, la peur, l'angoisse et l'illusion, l'égarement… Toutes ces négativités peuvent se dissoudre parce qu'elles ne sont pas intrinsèquement négatives. La négativité est plutôt un état de notre propre conscience, parce que les choses ne sont pas intrinsèquement bonnes ni mauvaises. C'est aussi ce que veut dire la vacuité. La vacuité est cette notion selon laquelle toute chose est exempte de svabhava ou de nature intrinsèque, ce qui signifie que rien n’est intrinsèquement bon ou mauvais, mais notre esprit a tendance à surimposer ses interprétations sur tout, sur la réalité, sur les événements, sur les autres.


 Prenons un exemple. Un jour, je pourrais être assis ici, je regarderai un arbre le trouverais charmant. À un autre moment, je pourrais penser « cet arbre n'est pas si beau que ça, celui d’à côté est peut-être plus beau » Vous voyez que les choses ne sont pas intrinsèquement bonnes ou mauvaises, mais que c'est notre esprit qui les rend bonnes ou mauvaises, qui les interprète en termes de favorables ou défavorables et cela est aussi vrai pour les événements. Des événements se produisent en permanence dans la vie quotidienne, il n'y a pas de vie sans événements. Même lorsque vous vous réveillez le matin, tellement d'événements se produisent, pas des d'événements grandioses ou fantastiques. Le fait que vous soyez réveillés est un événement, c'est un évènement tout simple, personne n'en fait un reportage ; et si vous entrez dans la cuisine, c'est un événement. Mais nous n'y pensons pas en tant qu'évènement car il n'y a aucun drame dans cela.

 Lorsque vous êtes assis, vous voyez quelque chose d'amusant comme un oiseau-mouche qui vole autour de vous et qui a l’air de vouloir vous parler, votre esprit peut en faire un événement. Vous pouvez ressentir que vous êtes en contact avec un esprit, l'esprit de la nature. Regarde cet oiseau, à l'évidence il veut me parler. Même si ce n'est que dans votre esprit, cela peut être un événement très particulier. Ou vous entrez quelque part, vous vous asseyez, c'est un événement. Vous parlez avec quelqu'un au téléphone, c'est un événement. La personne vous répond qu'il s’est passé quelque chose de super dans sa vie ou qu'elle compte vous rendre visite, et c'est aussi une sorte d'événement. Vous pouvez être heureux, parce que cette personne a dit quelque chose de très gentil à votre sujet, c'est un événement très désirable et qui sait, peut-être cette personne ne vous donnera pas de si bonnes nouvelles, elle vous apprendra peut-être qu'un membre de votre famille est malade, et c'est aussi un événement.

 Tous ces évènements se produisent ainsi sans cesse. Bien sûr, il y en a de bons et de mauvais dans le contexte de la réalité relative, en relation avec les événements. Je ne nie pas la réalité relative mais il y a tout un autre espace de la réalité qui est souvent appelée la réalité absolue. Je pense que l'on peut tout regarder du point de vue de la réalité relative mais aussi du point de vue de la réalité absolue, simultanément. Nous pouvons alors ne pas être totalement déconnecté de la réalité, ou complètement dans le déni, ou créer un contournement spirituel. Nous pouvons avoir une vue d’ensemble de tout et voir la nature de la réalité dans laquelle réside toute l'expression de la vacuité ou de l'ineffable, et où rien n’est intrinsèquement ni bon ni mauvais.


 Ainsi, on peut transcender la négativité, peu importe ce qui se produit autour de nous, nous pouvons voir que tout cela n'est qu'un jeu. Un jeu indescriptible de l'ineffable, de la vie, du monde, de la nature, de la vacuité, peu importe comment vous voulez l'appeler. Cela dépend de votre vocabulaire spirituel ou de la tradition à laquelle vous vous associez. Dans le bouddhisme, on peut dire que tout est l'expression de la grande vacuité. C'est une manière de dissoudre les négativités dans la vacuité.

 La vacuité est parfois aussi utilisée pour décrire l'état d'esprit éveillé appelé pure conscience, en particulier dans le Mahayana et dans la tradition bouddhiste tantrique. Ainsi, la vacuité peut parfois être une notion philosophique selon laquelle rien n'a de nature intrinsèque si on y réfléchit, mais la vacuité est aussi utilisée pour décrire l'état de pure conscience dans lequel on n'est plus vraiment attaché à quelque notion de réalité que ce soit. On n’est plus attaché à ses pensées et à ses puissantes émotions.

 Il y a aussi des pratiques spécifiques qui sont enseignées dans la tradition bouddhiste tibétaine pour faire l'expérience de la dissolution de toutes les négativités dans la vacuité. La manière de faire cela est… Disons que vous êtes assise et une négativité se présente, cela peut être n'importe quoi. Disons que quelque chose se passe mal dans votre vie, quoi que ce soit. Peut-être que vous faisiez de la cuisine et vous avez oublié d'éteindre le gaz, le four, et votre délicieux plat est brûlé. Imaginez que vous avez invité quelqu'un pour partager ce délicieux plat que vous avez préparé, et que vous avez lu de nombreux livres de cuisine. J'ai l'habitude de lire des livres de cuisine et l’autre fois, je suis tombé sur un livre de cuisine végétarienne qui présentait une recette qui s'appelle le « simple pasta », recette italienne : comme son nom l'indique, c'est vraiment simple. Il suffit de mettre beaucoup d'huile et d’ail dans les pâtes. Disons que vous avez lu un gros livre de cuisine écrit par un chef célèbre et vous avez passé du temps à préparer quelque chose pour quelqu'un que vous voulez impressionner, ou même si vous ne voulez pas l'impressionner, vous voulez l'accueillir dignement en l'entourant de bonté, d'hospitalité, et le plat est brûlé. Cela peut créer de grandes difficultés, je pense que la plupart des gens réagiraient en étant très perturbés, ou en colère, ou qu’ils commenceraient a invectiver le four, même si le four n’a pas de conscience : c’est nous qui avons oublié de nous lever pour l'éteindre. Mais j'ai souvent vu, quand j'étais jeune, que des gens peuvent se mettre en colère et vraiment insulter et brutaliser des objets matériels. Il y a des histoires amusantes que je pourrais partager sur le sujet avec vous, une autre fois.

 Quoi qu'il en soit, que faites-vous alors ? Selon les enseignements bouddhistes, vous pouvez alors vous asseoir, en particulier si vous êtes un pratiquant de la méditation. Il y a toujours ce moment particulier, très subtil, où on a le choix sur la manière de répondre à un événement et je pense que ce moment est vraiment crucial. Ce n'est pas si évident pour des gens qui ne pratiquent pas la méditation, qui n'ont vraiment aucune pratique spirituelle, qui même ne font pas tellement cas de la conscience, de la transformation de l'esprit, de la pratique de l'amour bonté. Il y a des gens dans le monde qui vivent assez inconsciemment, même s'ils jouissent d’une abondance de richesses, de pouvoir et de prestige, mais ils peuvent vivre inconsciemment. Vous pouvez parfois voir des politiciens qui semblent vivre vraiment inconsciemment. Je peux me tromper, cela peut être ma propre projection.


 En tout cas, il est possible que beaucoup de gens vivent inconsciemment. Ils peuvent être très bons à ce qu'ils font, leur travail, et accomplir des tâches mondaines, avoir du succès, passer un doctorat, mais peut-être qu'ils n'ont jamais vraiment pensé à considérer l'introspection. L’introspection ne fait pas partie de leurs buts ni de leur liste de priorités. Ils ont certainement toutes sortes d'autres priorités, les vacances, une retraite anticipée, la visite de lieux exotiques et passer de merveilleuses vacances, avoir quelques maisons, peut être un bateau, quelque part un chalet en montagne et peut-être un jet privé. La liste des désirs peut continuer.

 Mais si quelqu'un comme vous, qui a pratiqué la méditation et dont l'une des priorités est vraiment, disons de devenir introspectif ou simplement d'évoluer, alors ce moment crucial devient tellement évident.

 Il est toujours là mais parfois, même en étant conscient du moment critique, il peut peut-être sembler plus facile d'être accro à la réaction, à la colère, à des états d'esprit pas très sains, plutôt que de répondre à ce genre de circonstances avec un cœur ouvert et une attitude d’acceptation. Quoi qu’il en soit, imaginez que votre plat a brûlé : vous avez un moment pendant lequel vous pouvez lâcher prise sur toute réactivité et ne pas être en colère, ne pas être bouleversé, ne pas tomber dans toutes ces histoires à propos de cette personne qui maintenant va être déçue, par exemple, ou ne viendra plus vous voir, etc.

Parfois, à ce moment-là vous pouvez aussi simplement vous asseoir et regarder vers l'intérieur. Explorer, examiner votre esprit et vous demander d'où vient cette sensation de bouleversement, de colère et de déception, tous ces récits, d'où viennent-ils vraiment ? Si vous les examinez, vous ne trouverez pas. Vous pouvez vous dire "oh, ils viennent de l'esprit", mais l'esprit, d’où vient-il ? Vous ne trouverez pas où réside l'esprit. Alors, toutes ces choses deviennent insaisissables, une manifestation énergétique et insaisissable comme les nuages, ou quelque chose comme ça. C'est une énergie qui n'a aucune forme, qui n'a pas de forme matérielle, qui n'a pas de composants matériels et qui peut se dissoudre sur-le-champ.

Ceci est également enseigné dans le bouddhisme tibétain en tant que manière de dissoudre toutes les négativités dans la vacuité. Ici, la vacuité désigne le fait que vous commencez à expérimenter le fait que votre esprit, votre réactivité, la douleur, la contraction énergétique, n'ont pas de substance, pas de composantes matérielles et physiques, qu’ils sont simplement une énergie sauvage figée dans votre système, qui peut se dissoudre sur-le-champ parce que leur essence est vide. C'est ainsi que l'on peut dissoudre les négativités dans la vacuité selon la tradition bouddhiste tibétaine.


           J’espère que cela fait sens pour vous tous. Peu importe à quel point ce monde est difficile et nous met en difficulté, à quel point notre esprit perçoit de la négativité partout autour de nous. Il y a toujours ce remède de sagesse, ces très précieux enseignements que l'on peut utiliser pour trouver la liberté et même pour faire l'expérience de la dissolution de toutes les négativités dans la vacuité. 


Beaucoup de gratitude




L'Insondable Liberté de n'être Personne - enseignement du 15 août 2021


Il y a une sorte de conflit qui se produit dans l'espace profond de notre cœur. Ce n’est pas un des conflits dont il est question habituellement. Bien sûr, il y a de nombreux conflits dans notre esprit et dans notre cœur, dont on parle parfois trop, mais en l'occurrence il s’agit presque d’un conflit existentiel. Il s'agit d'une partie de nous qui souhaite vraiment faire partie de ce monde, faire partie de la société humaine ; cette partie de nous est extrêmement attachée à tout ce que ce monde propose en termes de carrière, d’identité, de relations. Et puis il y a un autre désir, comme une profonde aspiration en nous, qui souhaite être libre de tout cela et transcender tous ces pièges et ces attachements à notre carrière, au rôle que l'on joue… En fait, à tout ce que l'on peut imaginer, qu’on peut avoir à l'esprit. Cette aspiration s'accompagne de la sensation d'être coincé dans ce monde qui est trop limitant, qui nous enferme. Ce conflit ne se produit pas à la surface de la conscience, à un endroit que l'on peut facilement désigner, mais il est toujours là, et souvent il est dormant.


 Ce conflit n'est pas mauvais. Il fournit en fait l'énergie même qui nous fait devenir spirituel. Quand je parle de spirituel, je ne fais pas allusion à quelqu'un qui veut juste méditer. Ces temps-ci, beaucoup de gens souhaitent méditer, avec divers motifs sous-jacents. Certaines personnes méditent sans la moindre composante spirituelle ou le moindre principe religieux dans leur pratique. Peut-être que ces personnes souhaitent simplement réduire leur stress, ou avoir l'esprit clair, de manière à être un travailleur productif, un employé efficace d’une grande entreprise, etc., et il n'y a rien de mal à cela. Il y a tellement de gens qui tirent des bénéfices de la pratique de la méditation, y compris une réduction de l'angoisse et du stress, et le fait de trouver la paix de l'esprit.

 Mais il y a aussi des gens qui peuvent pratiquer la méditation avec davantage de composante spirituelle, ce qui signifie un désir de transcendance. En fait, le cœur même du bouddhisme porte sur l’idée de se transcender soi-même, de transcender ses identités égoïques et de trouver la liberté. C'est quelque chose à quoi beaucoup de gens aspirent, même s'ils ne se décrivent pas comme spirituels ou religieux, mais chacun a, d’une manière ou d'une autre, cette aspiration à aller au-delà de tout, à tout laisser tomber et à ne plus être de ce monde. Les gens utilisent toutes sortes de méthodes pour faire l'expérience de la transcendance, parce que c'est très libérateur. Parfois, des gens peuvent même utiliser des méthodes un peu malsaines et malavisées pour expérimenter la transcendance, comme des substances intoxicantes, ou avoir recours à toutes sortes de moyens pour entrer dans des états de conscience dans lesquels on se sent libéré de tout.


 Le bouddhisme propose une vaste gamme de pratiques qui nous permettent de faire l'expérience d'une transcendance authentique, dont je parlerai. Toutes les cultures ont des modèles sacrés comme des saints, des mystiques, qui se sont libérés de tout, qui se sont libérés de toutes les conventions et qui, fondamentalement, ne font aucun cas des préoccupations mondaines. Par exemple, en Inde, il existe ce que l’on appelle avadhuta, quelqu'un qui est un mystique, un yogi éveillé, qui a en fait laissé tomber tous les consensus à propos des affaires mondaines. Il n'a aucun attachement à la gloire, à la réputation, au succès, et il ne fait pas le moindre cas de ce que les autres peuvent penser de lui. Certains de ces avadhuta non seulement ne font pas partie du monde conventionnel, mais ne font pas même partie des institutions religieuses puisque dans les institutions religieuses établies, il s'agit beaucoup de politique, de pouvoir et aussi de beaucoup de conventions. Ces yogis sauvages ont en fait tout laissé tomber. Il y a aussi des maîtres pleinement éveillés dans le bouddhisme tibétain, qui ont dépassé toutes les conventions humaines et sont parfois appelés naldjorpa. Il y en a de très connus, des êtres transcendants tels que Milarépa, Machik Labdrön, Drukpa Kunley, Do Khyentsé et ainsi de suite.


 Il y a ainsi une liturgie que je récite souvent et qui m’aide à imaginer cet idéal d'être transcendant, même si je ne saurais transcender mon attachement au monde, mais le simple fait d'avoir cette sorte d'image sacrée ou d'idéal dans ma conscience m’aide au moins à tourner mon attention, à diriger mon esprit vers quelque chose de vraiment libérateur et profond. Cela me permet également de voir à quel point je suis coincé dans le monde de l'attachement, et je vois parfois le fossé entre là où je suis et là où je souhaite aller en conscience. Au moins, je peux voir que je suis pris dans les vagues de l’attachement à toutes sortes de phénomènes mondains. Cette liturgie a une section appelée gourou yoga qui est ma partie préférée, au cours de laquelle on visualise Guru Padmasambhava. Cette forme de Guru Padmasambhava est l'une de ses nombreuses formes. Il a de nombreuses formes dont les « 8 manifestations de Guru Padmasambhava » ainsi que de nombreuses autres. Il y a de grands tertön du Tibet qui ont eu diverses visions des formes de Guru Padmasambhava mais quoi qu'il en soit, dans cette forme de gourou yoga que je pratique, je visualise Guru Padmasambhava, qui ressemble à un tugden, à un yogi qui porterait peu de vêtements et qui arbore les ornements du Bön : un mala en os, un damaru ou tambour à main. Cette image de Guru Padmasambhava sous forme d’un tugden, d'un être transcendant, au moins pour moi, possède le pouvoir de me donner un avant-goût de cette liberté extraordinaire, extraordinaire du fait de ne pas être lié par l'attachement aux préoccupations mondaines.


 Il y a en chacun de nous cette aspiration à être libre de tout. C'est pourquoi beaucoup d'entre nous aiment les grands saints, les mystiques, les êtres transcendants tels que Milarépa, qui est très aimé au Tibet. Pendant que je grandissais, il n'y avait pas beaucoup de distractions au Tibet, parce qu’il n'y avait pas encore de télévision. Plus tard, la télévision est arrivée au Tibet, et ils ont commencé à montrer toutes ces séries. Mais avant cela, il y avait vraiment peu de distractions et ce bon vieux temps me manque, parce qu’en ce temps-là, les distractions et la spiritualité étaient la même chose. Nous n'avions pas de romans, de fictions, et donc une des sources de distraction était de se retrouver ensemble, entre habitants d'un village et s'il y avait quelqu'un qui savait lire, parce que beaucoup de personnes dans ces petits villages étaient illettrées, les gens se retrouvaient et demandaient à l'un d'entre eux qui savait lire, de lire et de psalmodier la vie de Milarépa, les grandes épopées de Gesar de Ling ou la vie des bodhisattvas. Je me souviens qu'on pouvait rester assis des heures et des heures pendant la lecture de ces livres extraordinaires à propos de la vie des êtres transcendants. Les gens étaient très émus, très captivés et très émus, et je me rappelle que parfois des gens pleuraient en écoutant l’histoire émouvante de la vie de Milarépa ou d'autres êtres transcendants. Ainsi, Milarépa est très aimé, comme beaucoup d'autres grands mystiques, et Machik Labdrön est également l'objet d'un grand amour. Elle était une grande mystique du XIIe siècle au Tibet. Aujourd'hui, ses enseignements sont très répandus et s'épanouissent, même si elle a vécu au XIIe siècle. En fait, une personne m'a dit qu'elle était vraiment très inspirée par les enseignements de Machik Labdrön, des gens m'ont dit qu’ils ressentaient que Machik Labdrön était vivante, parce que ses enseignements étaient tellement contemporains. Les gens ressentent qu'elle leur parle directement à travers ses enseignements.

 C'est vraiment extraordinaire de se dire qu'on peut être en Californie au XXIe siècle, lire ces textes anciens écrits par une mystique tibétaine au XIIe siècle, et ressentir que cette mystique du passé s'adresse à vous et comprend complètement vos aspirations spirituelles et tous vos problèmes psychologiques. Machik Labdrön est très aimée. Quand on lit sa biographie, on peut voir que c'était une mystique extraordinaire qui avait tout transcendé, extérieurement comme intérieurement.


Il y a bien sûr des mystiques qui transcendent tout mais ne le montrent pas extérieurement, même si dans leur esprit, ils sont libres de tout attachement envers les préoccupations mondaines. Milarépa est très aimé. Il se peut que vous voyiez des images de Milarépa et je ressens toujours que le simple fait de voir l'image de Milarépa me fait me sentir libre, détendu et insouciant. Ce matin, avant de guider la méditation à laquelle beaucoup d'entre vous ont peut-être participé, j'ai eu envie de lire un passage d'un Mahasiddha ou d’un mystique, et le livre qui était là était une vie de Milarépa publiée il y a quelques années. Il est dans ma bibliothèque, je l'ouvre souvent pour en lire un passage, et habituellement le simple fait de lire quelques strophes de ce livre ouvre mon cœur. Quoi qu'il en soit, dans ce livre, il y a une image de Milarépa, un portrait qui le représente avec de longs cheveux et une sorte de châle blanc, c'est tout. Il est en posture de méditation et il met sa main droite derrière son oreille droite, ce qui est un geste sacré qui représente le fait d'être complètement insouciant et détendu ; c'est aussi le geste qui correspond au chant de libération, ou doha, qui exprime la félicité, la libération et l'amour. Une partie de moi souhaite être comme lui, c’est extraordinaire, ce serait tellement bien si je devenais comme Milarépa. Quoi qu'il en soit, il y a toutes ces images, ces histoires, qui peuvent évoquer au moins l'idéal de la libération et de la transcendance totale.


Comme je l’ai dit auparavant, une partie de nous est très attachée à ce monde humain, il n’y a rien de mal à cela mais on est attaché à tellement de choses, notre travail, notre carrière, le rôle que l'on joue… En fait, chaque rôle que l'on joue est une illusion complète. Il y a des gens qui se sentent intrinsèquement médecin et si on leur dit qu’ils ne sont pas intrinsèquement médecin, ils peuvent être choqués, mais en vérité, ils ne sont pas nés médecin donc être un médecin est en fait une illusion. C'est l'esprit qui crée cette identité. Médecin, c'est bien sûr une position assez élevée dans la société. Il a fallu faire de longues études et passer toutes sortes d'examens, c'est une grande réalisation. C’est quelque chose que je ne réaliserai jamais moi-même dans cette vie, donc je n’ai pas l’espoir de devenir médecin mais j’ai beaucoup d'admiration pour les gens qui deviennent médecin parce que ces gens sont de bien des manières diligents, déterminés, ils ont une forte volonté et ce sont des travailleurs acharnés. Lorsqu’on devient médecin, il y a sans doute des gens qui vous entourent et vous congratulent, et la famille est extrêmement ravie. C’est une grande réussite. Si vous êtes médecin, c'est très facile de penser qu'on est vraiment médecin, qu'on est intrinsèquement médecin, que le ciel nous a fourni le sceau d'authenticité qui montre à la société que nous sommes intrinsèquement un médecin. La vérité est que personne n’est vraiment intrinsèquement médecin, personne n’est né médecin et de la même manière, personne n’est ceci ou cela, personne n’est enseignant, personne n’est chauffeur de taxi, personne n’est un maître, personne n'est un agriculteur, parce que personne n’est né en tant qu'une de ces positions.

 C'est pour cela que voyager peut être très amusant. Il y a même un élément religieux. Le temps où je voyageais beaucoup me manque et ne me manque pas à la fois, parce qu’avant la pandémie je voyageais beaucoup et les gens disaient que c’est difficile pour le système de voyager autant, notamment le fait de prendre l'avion pour aller d'un continent à l'autre. Je trouvais ça plutôt amusant parce qu’il faut parfois passer dix heures d'affilée dans l'avion, et il y a toujours des distractions dans l'avion. Il y a une télévision, vous pouvez aussi faire la sieste, lire des livres...


D’une certaine manière, j'ai découvert qu'il y avait une sorte de qualité transcendante au fait de prendre l'avion pour aller au loin, parce que vous avez tout laissé derrière vous, tout ce que vous faites, votre chambre, votre réfrigérateur, vos amis… vous laissez tout derrière vous pour une période de temps durant laquelle vous n’irez plus au magasin d'alimentation local où vous pouvez croiser vos amis, vos voisins, et bavarder du temps qu'il fait ou des nouvelles, vous ne verrez plus la caissière qui est toujours là et connaît tout de votre vie. Quand vous prenez l'avion pendant dix heures d'affilée, vous pouvez même oublier qui vous êtes, ou du moins votre cerveau peut éprouver une légère confusion et oublier un peu qui vous êtes. Au moment où vous arrivez à destination, en particulier si vous voyagez pour le travail ou si vous allez conduire une retraite de méditation, alors vous devenez quelqu'un. Littéralement au moment où vous touchez le sol. Il y a parfois là un groupe de personnes qui vous attend avec des fleurs, ce qui est vraiment gentil de leur part, mais en descendant vous devenez quelqu'un, vous devenez l’enseignant spirituel, et ainsi de suite. Alors que quand vous êtes dans le ciel, au milieu de nulle part, avec de complets étrangers qui ne vous accordent pas la moindre attention, il y a là une extraordinaire liberté parce que vous pouvez oublier qui vous êtes, personne ne sait qui vous êtes. Il y a une comme une transcendance, même si ce n’est pas une transcendance authentique.


 Si elle était authentique, tout ce qu'on aurait à faire serait de prendre beaucoup l'avion et on deviendrait éveillé… mais ce que je veux dire, c'est que nous savons tous à quel point c'est libérateur d'avoir des moments au cours desquels on n’est personne, on laisse aller toutes nos identités. Parce que je pense que notre identité égoïque, c'est vraiment la chose qui nous lie au monde de la dualité, des limitations. Si on est en mesure, d’une manière ou d’une autre, de trancher à travers l'identité égoïque, alors on peut vivre dans ce monde et faire tout ce que la société attend, si la société s'attend à ce que nous jouions tel rôle et exercions tel ou tel métier. Je ne peux pas imaginer que la société pourrait fonctionner s’il n’y avait pas d'infirmière, ou de médecin, ou d’ouvriers du bâtiment. Parfois quand je me promène, je vois des gens qui travaillent sur une route, qui rénovent la maison de quelqu'un, je leur suis très reconnaissant parce que leur travail est dur. Il faut qu'ils aillent à l’extérieur, et travaillent des heures et des heures. Je leur en suis très reconnaissant et je suis aussi très reconnaissant envers les gens qui, chaque semaine, passent ramasser les ordures ; sans eux, votre quartier serait un vrai gâchis et donc je leur suis très reconnaissant. Ainsi, la société nous attribue des jobs et des tâches diverses, et peut ainsi fonctionner en tant que communauté humaine.


 Mais il y a une manière de trancher l'attachement à notre identité égoïque tout en jouant le rôle que la société nous a attribué, tout en appréciant tout ce que la vie nous offre, nous propose. La vie vous offre des opportunités diverses, des métiers, de la nourriture, un logement, vous pouvez apprécier tout cela, mais vous n’avez pas à vous sentir piégé par ce monde et par toutes les choses que vous appréciez. Parfois, vous sentez que vous êtes piégés par tout ce que vous appréciez : votre carrière, vos relations, votre résidence, mais ça n’a pas besoin d'être ainsi. Vous pouvez être entièrement libre dans votre conscience tout en étant pleinement présent, en faisant pleinement partie de ce monde ; vous pouvez ainsi jouer votre rôle, que vous soyez éboueur ou médecin, et être aussi pleinement dans vos relations avec votre famille et vos amis, vos voisins.

 Notre vie est un réseau de relations. Il y a bien sûr différents types de relations ; il y a aussi des relations avec le divin. Beaucoup d'entre vous peuvent ressentir qu'ils ont aussi une relation avec le Dharma ; je pense que l'une des plus importantes relations que nous ayons est notre relation avec le Dharma.

 Par exemple, il y a quelques semaines j'ai offert une cérémonie de prise de refuge au cours de laquelle les gens ont pris les vœux bouddhistes traditionnels du refuge. Je leur ai dit que fondamentalement, prendre refuge est une forme d’engagement, un engagement à vie. Parfois, je dis aux gens que les vœux du refuge sont comme une forme de mariage. Quand on prend les vœux du refuge, on se marie, mais on se marie au Dharma, à la voie, à la voie vers l'éveil. C'est un merveilleux mariage, mais c’est une forme de mariage.


 Il y a donc tous ces types de relations qui existent dans notre vie et on peut vraiment toutes les apprécier, toutes les relations qu'on a dans ce monde, mais ne pas se sentir lié par elles. J'ai une question pour vous tous : vous pourriez peut-être faire une pause et voir ce que vous ressentez, ce que vous appréciez dans tout ce que ce monde propose, par exemple votre carrière, le rôle que vous jouez dans la société, peut-être que certains d'entre vous jouent un rôle important. Vous appréciez vos relations, vos possessions et quand je parle de relations je parle aussi de relations avec la société et la communauté. Est-ce que vous les appréciez vraiment ? Est-ce que vous les accueillez pleinement ?  Est-ce qu’il y a une partie en vous qui les apprécie vraiment et une partie de vous qui les perçoit un peu comme un fardeau ? Vous les aimez, mais vous voulez aussi en être libre. Cela peut être un conflit silencieux, qui peut être transcendé si vous êtes en mesure de complètement lâcher votre identité égoïque, quelle que soit l'identité que vous jouez, le rôle que vous jouez dans la société.


 La société vous attribue une identité mais vous, vous jouez aussi un rôle, vous vous attribuez aussi une identité. Par exemple, si vous êtes médecin, la société vous attribue cette identité, on vous appelle Docteur, vous recevez tous les signes d'approbation, de validation du fait que vous êtes médecin et dans votre esprit vous pouvez croire aussi que vous êtes intrinsèquement et de manière inhérente un médecin, ce qui est un peu bizarre.

 On a tendance à former dans notre tête ce genre d'identité, qui peut ne rien avoir à faire avec la société. Par exemple, si vous formez une identité négative. Si vous vous identifiez comme quelqu'un de pas très malin, quoi que cela signifie, ou si vous vous identifiez comme un pécheur (j’espère que personne ne s’identifie comme un pécheur) ou comme un loser. Vous savez, l’ego peut être assez malicieux, et les gens autour de vous pourront ne pas vous percevoir de la manière dont votre ego se perçoit lui-même. Les gens peuvent trouver que vous êtes adorable et très intelligent, mais l'ego parle dans votre tête en permanence, parce que c'est dur de lui échapper, ce n’est pas comme s’il fallait prendre son téléphone pour le rencontrer ou passer prendre un café avec lui, il est toujours dans votre tête et parfois même, le seul moment où il n'est pas actif dans votre esprit, c’est quand vous dormez. C’est pourquoi, pour certaines personnes, le sommeil est une pratique spirituelle.

 

 L’ego nous suit en permanence, il fait partie de notre esprit, nous ne pouvons pas facilement lui échapper, et donc l'ego peut élaborer toutes sortes de versions extravagantes de qui nous sommes. On peut souffrir de ces versions peu flatteuses que l’ego projette de qui nous sommes mais en fait, intrinsèquement, nous ne sommes personne. Je ne dis pas ça négativement mais nous ne sommes aucune de ces identités ou de ces images mentales que l'on crée en tant que fondement de qui nous sommes. Non seulement cela, mais il y a une similitude, une similarité, une égalité divine, qui est le fondement même de toute notre vie, de toute notre existence. Si vous marchez sur la plage, vous pouvez regarder le sable, tous les grains de sable sont différents les uns des autres. Je ne sais pas si quelqu'un prendrait le temps d'examiner chaque grain de sable, mais même alors on ne va pas s'amuser à dire que ce grain est plus sableux que celui d’à côté, ou meilleur que celui-ci, qu’il est plus saint que l'autre, plus riche ou moins intelligent. Il y a vraiment une égalité dans cette « sablitude » et de la même manière, il y a une grande égalité dans laquelle nous sommes tous les mêmes.

 Bien sûr, en termes de personnalité, de karma, d'histoire de vie, on est très différents les uns des autres et on est aussi très différents les uns des autres par notre comportement. Le comportement de quelqu'un est souvent très différent de celui de quelqu'un d'autre. Mais il y a une dimension en chacun de nous dans laquelle, si on peut s'y reposer et laisser tomber notre identité égoïque, il y a cette égalité divine au sein de laquelle nous sommes tous les mêmes. Dans cette dimension, nous sommes tous les mêmes. Ce n'est bien sûr pas ma théorie, cela a été enseigné encore et encore dans le bouddhisme, et en particulier dans les tantras du Dzogchen. Il y a cette assertion très célèbre dans un texte intitulé « les douze rires vajra » qui est enseigné dans les tantras du Dzogchen. Si vous lisez ce texte, chaque phrase, chaque assertion, se termine par un rire : Ah, Ah, Ah ! le rire divin, le rire vajra. On y trouve l’affirmation selon laquelle le Bouddha pleinement éveillé et les êtres sensibles complètement égarés sont identiques.

 Il y a une dimension où ils sont différents, mais il y a une dimension profonde dans laquelle ils sont identiques. Le Bouddha était une source d'amour, un être totalement éveillé ; un être ordinaire est complètement perdu dans sa confusion et ses névroses, mais en fait, dans cette dimension ces deux êtres sont identiques, sont le même. On peut appeler cette dimension comme on veut, on peut l'appeler la dimension de l'égalité divine. Donc, si on est en mesure d'entrer dans cette dimension et de laisser aller l’identité égoïque, je pense qu'on peut faire l'expérience d'une liberté extraordinaire. A mesure que l'on parcourt la voie spirituelle, je pense que l’on commence tous à voir le côté superficiel et illusoire de nos identités égoïques. Bien sûr, on ne peut pas couper à travers complètement et très longtemps. Il y a certainement des gens qui sont capables de trancher complètement leur identité égoïque, de vivre librement, chaque jour, comme Milarépa. Mais beaucoup de gens, dans ma compréhension, auraient du mal à laisser complètement tomber leur identité égoïque pour devenir un être transcendant.


 Pourtant, dans mon expérience, à mesure que nous continuons, que nous progressons sur cette voie spirituelle, ce Dharma, nous commençons à voir notre attachement à nos identités, aux rôles que l’on joue dans le monde, comme quelque chose de plus si sain, quelque chose qui nous lie, qui nous enchaîne au monde et apporte de la pesanteur dans notre cœur, qui nous empêche de nous sentir complètement libre. En même temps, on ne peut pas se libérer de ces chaînes. Il nous faut porter ces chaînes pour survivre, ou pour gagner des bénédictions ; nous ressentons que nous ne pouvons pas survivre sans porter ces chaînes, ces chaines de l'identité. Puis on commence à voir que toutes nos identités sont en fait des histoires, des illusions ou des images mentales que l'on a créées, et l’on commence à voir que ce n'est pas complètement qui nous sommes. Dès lors, on ne sera plus complètement lié par ces identités égoïques. Je pense qu’il y a beaucoup de moments durant lesquels on sent qu'on n’est plus le rôle que l'on joue, on n'est plus cette personne ou cette autre, mais on est cette chose extraordinaire pour laquelle il n’y a pas de mots.

 Cette expérience d'être pure conscience ou de n’être personne, ce qui est un peu la même chose, peut se produire au cours de nombreuses pratiques. Par exemple, il y a une étape dans toutes les sadhanas tantriques au cours de laquelle on se visualise en tant que déité, Ishta Devata, ça dépend de la sadhana que l’on pratique. Dans la sangha, beaucoup de mes amis pratiquent la Sadhana des Dakinis. Dakini signifie "danseuse céleste" ; il y a une dakini avec forme et une dakini sans forme. La dakini avec forme se présente comme un Bouddha féminin, comme Vajra Yogini, Vajravarahi, et ainsi de suite. Mais la véritable dakini, la dakini sans forme, n'est pas comme un être divin extérieur ; cela fait référence à un état de conscience qui est complètement libéré de toutes les identités égoïques et ainsi, comme une danseuse céleste, on peut métaphoriquement voler sans limitation et ressentir une joie totale. Imaginez que vous volez, métaphoriquement, sans obstacle. Imaginez comme cela peut être extraordinaire.

Quoi qu'il en soit, il y a une étape dans ces sadhanas au cours de laquelle on se visualise en tant que dakini ; beaucoup de gens ressentent à ce moment qu'ils ont complètement laissé tomber leur identité égoïque et ne sont plus personne, et en même temps ils sont cette pure conscience qui est douée d'amour et d'absence de peur.


Je vais vous raconter une anecdote personnelle, comment une telle méthode a pu m’aider et peut aider chacun à laisser aller, ne serait-ce que pour un instant, son identité égoïque. Une fois, j’ai rencontré un merveilleux enseignant bouddhiste en Corée du Sud, et nous avons eu une longue conversation. C’est une personne vraiment merveilleuse et sans doute un bon enseignant. Il avait des problèmes et m'avait demandé mon avis à leur sujet ; mon job était bien sûr de lui dire la vérité, mais comme il était également un enseignement spirituel, mon ego avait une sorte de réticence à dire vraiment la vérité,  parce que mon ego avait peur de l'offenser si je pointais quelque chose à son propos. Mon ego souhaitait donc être très poli mais j'ai réalisé que je ne l’aidais pas vraiment dans cette conversation, alors qu'il souhaitait vraiment entendre mes conseils. Il y avait mon ego, l’ego d’Anam Thubten, qui voulait être très poli et ne voulait pas le prendre à rebrousse-poil, mais une partie de moi a réalisé que je ne l'aidais pas vraiment. Je me suis donc assis un moment, et je me suis visualisé comme une dakini particulière qui est représentée comme de couleur noire, dansant dans un mandala de feu et portant un couteau à découper dans la main droite et une coupe crânienne dans la gauche, c'est l'image. Je me suis donc visualisé en tant que cette dakini à l’aspect courroucé, ainsi j'ai perdu ma peur et mes motivations sous-jacentes à lui être agréable, et j'ai été en mesure de lui dire sincèrement ce que je pensais et de lui donner des conseils. C'était une expérience vraiment éclairante pour moi, parce que j'ai réalisé que lorsque nous sommes très attachés à notre identité égoïque, nous sommes automatiquement liés par toutes ces préoccupations mondaines, en fait par tout, tout ce qui en fait partie, notre carrière, nos possessions matérielles, le rôle que nous jouons, les relations que nous avons…

 

 Je voudrais inviter chacun à commencer à s'interroger et à questionner son identité. En d'autres termes, vous pouvez commencer à vous demander vraiment qui vous êtes et un jour, vous vous réveillerez et vous réaliserez que votre conscience est la dakini, la danseuse céleste qui n'est liée par rien et qui vole - bien sûr, je parle métaphoriquement - avec joie.

 

 Beaucoup de gratitude.


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Être libre comme un nuage - enseignement du 13 décembre 2020

 

Presque chaque être humain est né pur, en tant qu’âme ou esprit libéré, même si la plupart d'entre nous ne peuvent se souvenir à quel point nous avons été purs et libres un jour. Si nous pouvions nous souvenir du moment de notre naissance et des quelques premières années de notre vie, nous serions vraiment étonnés de voir à quel point nous étions purs et innocents. Peut-être que nous aurions même du mal à nous identifier en tant qu'être humain, que personne, ou que moi : nous étions des esprits purs et des âmes pures. Quand on grandit et que l'on devient un membre reconnu de la société humaine, il n’est pas vraiment naturel de s'identifier à, ou de se qualifier de pur esprit.

 

Cependant, il y a des moments où quelque chose s'ouvre dans notre conscience et où nous voyons qu'il y a un pur esprit en chacun de nous, qui est ce que nous sommes vraiment. A partir de cette ouverture, on peut regarder autour de soi et voir que chacun est en fait un esprit pur sous toutes ses couches de personnalité, de personnages artificiels, etc. Il y a un moment extraordinaire qui se produit périodiquement et fait que toute notre perception de nous-mêmes et des autres change complètement, en ce sens que nous ne voyons plus alors à travers le prisme habituel de notre esprit. En général, les gens se perçoivent mutuellement à travers leur personnage, leur personnalité, toutes ces identités égoïques, la culture, la religion, les vêtements qu’ils portent, le parti politique auquel ils adhèrent… Pourtant, toutes ces couches d'identité peuvent s'effondrer facilement et parfois la nature authentique et originale de ce que l'on est se montre. Il y a presque une sorte d'éveil transcendant qui nous arrive de temps en temps, et il y a de nombreuses personnes à qui c’est arrivé à travers l'histoire.

 

Une fois, je suis allé à Louisville dans le Kentucky où Thomas Merton a longtemps vécu. Même si Thomas Merton était un moine catholique, pour moi il est presque comme un moine bouddhiste. Il était vraiment très intéressé par les enseignements bouddhistes. Il a écrit un certain nombre d'ouvrages sur sa compréhension du bouddhisme et plus tard, il a même voyagé en Orient, au Népal et en Inde où il a eu de merveilleux dialogues avec des lamas tibétains. Il a sans doute même reçu des enseignements de lamas tibétains, et donc intérieurement, il est tout cela : il est chrétien mais il est aussi bouddhiste, c’est comme cela que je le comprends. Comme vous le savez, il a laissé de merveilleux écrits, notamment sur sa compréhension du bouddhisme et de la spiritualité orientale ; il a toujours été un de mes écrivains préférés. J'ai donc voulu visiter la fameuse 4ème rue à Louisville, où Thomas Merton a eu un éveil spirituel particulier, et un ami à moi m'y a accompagné. C'est une rue d'aspect assez ordinaire mais pour de nombreuses personnes, c'est comme un lieu de pèlerinage. Je ne me rappelle pas vraiment le contenu précis de son éveil spirituel mais si j'ai bonne mémoire, il a dit qu'il avait vu à ce moment-là à quel point les gens étaient adorables, ce qui signifie qu'il avait vu quelque chose en chacun, quelque chose de très pur et innocent, adorable même, sous toutes ces couches de fausse personnalité. En fait, notre identité et l’identité des autres sont en quelque sorte faites de masques, de faux personnages, mêmes si cela semble solide, et concret, et valide. Devant l’éveil spirituel, nos propres concepts à propos de qui nous sommes, de même que nos concepts à propos des autres, ont tendance à s'effondrer, comme les personnages factices, les masques qu'ils sont. Ce qui se révèle alors c'est quelque chose de très pur, très naturel, qui est déjà libéré.   

 

On pourrait appeler cela l'esprit pur en chacun de nous. Quand je parle de pur esprit, je ne parle pas d’un soi supérieur ou de l’atma. C’est simplement une chose très humaine, rien de divin à propos de cela. C’est vraiment humain et pourtant si pur, l'essence même de qui nous sommes, ce qui transcende toutes nos idées de qui nous sommes, de qui sont les autres, de ce qu’est l'humanité. Puis, le voile de tous les malentendus ou de nos compréhensions limitées retombe, revient, et met notre conscience en sommeil. Nous recommençons à nous relier les uns aux autres au travers de personnages artificiels et nous sommes pris dans le soi égoïque, notre propre soi égoïque. Pourtant, que l'on ait ou pas eu un éveil à la vraie nature de ce que nous sommes, nous sommes toujours ce pur esprit, c'est toujours là, et ce pur esprit est libre et innocent. Il n'a pas d'avidité. Il ne sait pas comment haïr et il n'a pas de limitation. Il ne peut être lié à aucune sorte de convention. Il n'appartient à aucun parti politique ni a aucune tradition, aucune secte, il n'appartient à rien, il est vraiment libre et pur.

 

Il y a de nombreux individus exceptionnels qui ont démontré une telle liberté intérieure. Parmi ceux qui se présentent à mon esprit, il y a Saraha et aussi le grand poète indien Kabîr. Saraha était aussi un individu très libre. Il était considéré comme le roi des Mahasiddhas. Dans la tradition bouddhiste, les Mahasiddhas sont des personnes qui ont trouvé la libération en elles-mêmes. Lorsqu’on lit la vie de Saraha ainsi que ses dohas, ses chants de réalisation, on voit qu'il était vraiment complètement libre intérieurement. Kabîr, le grand poète indien, a également fait preuve de ce genre de liberté intérieure. Il est dit que, de son vivant, les hindous et les musulmans ne l’aimaient pas. Il devait les fuir. Après sa mort, les hindous ont dit : « il était des nôtres » et les musulmans disaient la même chose. Pourtant, Kabîr n’était pas une personne parfaite, il avait lui aussi un côté obscur, mais au moins dans ses écrits, de même que dans sa manière de vivre, il a fait preuve de cette notion selon laquelle en tant qu'êtres humains on peut être complètement libre quand on est en lien avec ce pur esprit, quand on n’est lié à rien, qu'on n’est enchaîné à aucune norme de la société ordinaire.

 

Même si de nombreuses personnes sont inconsciemment enchaînées, entravées, par les normes de la société, il y a aussi un désir indéniable de se libérer de toutes ces chaînes et de devenir un pur esprit libre. Cela fait vraiment partie de la conscience humaine à travers l'histoire. Ainsi, dans l'histoire des États-Unis, il y a eu des périodes où les gens faisaient très fortement l'expérience de ce désir, non seulement individuellement mais même en tant que masse, et cet éveil a donné lieu à des mouvements tels que celui des années soixante, de la contre-culture, même si ce mouvement n'était pas vraiment complètement spirituel. J’ai tendance à faire quelque chose d'un peu romantique de la contre-culture des années soixante telle qu’elle s'est développée aux États-Unis. Il s'avère que ce n'est pas aussi sain que ce que je pensais, qu’il y a aussi un côté obscur, mais au moins cela a créé cette aura qui a fait que tous ces jeunes gens ont réalisé qu’ils avaient été enfermés dans les normes, les systèmes de valeurs conventionnels et qu’ils ont souhaité se libérer de cela et vivre une vie fondée sur leurs propres aspirations plutôt que selon des règles écrites dans les livres de quelqu'un d'autre.

 

Une fois, je guidais un week-end de retraite de méditation dans une université bouddhiste à Séoul, en Corée du Sud, et pendant une pause, nous sommes sortis et nous avons partagé un déjeuner dans un restaurant coréen traditionnel. Ensuite, un enseignant de méditation qui ne parlait pas très bien anglais a dit soudain, alors que nous profitions de ce repas : « I am happy », je suis heureux. J’ai pensé : oui, il est heureux parce qu'on a eu une belle pratique de méditation, maintenant on apprécie cette délicieuse nourriture coréenne…  J’ai dit oui, c’est bien que vous soyez heureux ! et son interprète a répondu que ce qu’il essayait de dire était : « I am a hippie », je suis un hippie ! Il voulait expliquer ce qu’il entendait par là car il ne ressemblait pas à un hippie. Habituellement, on a une idée de ce à quoi est supposé ressembler un hippie, avec des cheveux en dreadlocks, des vêtements délavés et tous les accessoires de hippie : les malas, l’encens et peut-être quelques livres de poésie - alors que lui avait les cheveux coupés courts et portait des vêtements assez normaux. Ce qu’il voulait dire, c'était qu'il était un hippie parce que dans son esprit, être un hippie signifiait être quelqu'un qui ne suit pas les normes de la société, mais qui a quelque chose de l'ordre de valeurs plus élevées ; des valeurs qui ne se limitent pas à avoir du succès ou à avoir toutes les réalisations que la société glorifie, mais ont une portée plus élevée, comme des valeurs spirituelles. Peut-être des valeurs fondées sur l'amour, la compassion et la sagesse, ou peut-être une aspiration à une vie juste, fondée sur la non-violence et sur un style de vie qui ne cause aucun mal, qui n’occasionne pas l’exploitation et l'utilisation d'autres humains. Un système de valeurs qui valorise le développement de l'amour, la compassion et la valorisation de la beauté intérieure plus qu’extérieure. Ces valeurs peuvent être la pratique de l'amour et de la compassion ; cela peut être l'éveil, car pour certaines personnes l'éveil est la valeur la plus élevée.

 

J'ai un ami Lama, un renonçant, un moine, qui doit avoir dans les cinquante ans. Il vit dans un monastère au Tibet et je n'ai pas été en contact avec lui depuis des années. Souvent, mes amis me parlent un peu de lui, c'est un être extraordinaire, c'est un pur renonçant. Ils m'ont dit qu'il revenait exceptionnellement dans son village pour visiter ses parents, même si le monastère où il vit est peut-être disons à une heure de son village en voiture, mais il n'y retourne pas pour rendre visite à ses parents. Un de mes amis m'a dit qu'une fois, il est revenu de son monastère pour rendre visite à sa famille et tandis qu'il partait, il a dit : « je ne reviendrai plus dans ce village ». Il a dit que, pendant qu'il était au village, il a ressenti que sa conscience commençait à s'abaisser et qu'il se livrait à des bavardages futiles et des disputes avec les membres de sa famille. Je ne sais pas si c'est vrai, mais c'est ce que je suppose.

 

Dans certaines cultures telles que celles du Tibet oriental, lorsque l'on fait partie d'une tribu, la tribu est votre famille, votre famille proprement dite. Votre famille proche est la tribu en quelque sorte et votre famille élargie dans certaines tribus peut être très importante, des centaines de personnes. Si cette tribu a un problème avec une autre, vous ne pouvez que partager leur peine et leur bonheur, et parfois il vous faut haïr quelqu'un parce que l'un des membres de votre famille ou quelqu'un dans votre tribu a eu un conflit avec quelqu'un d'une autre tribu. Il y a une force, une force de l’inconscience, qui vous impose d’abaisser votre niveau de conscience à des niveaux assez bas et avant même de vous en être rendu compte, vous êtes pris dans un jeu de l’ego, aimant ceci et n'aimant pas cela, pris dans l'avidité, l’orgueil, l'ambition etc. Mon ami Lama a peut-être vu cela, et il a décidé de ne plus retourner voir sa famille.

 

Longchenpa a écrit un poème où il parle de la voie des vrais yogis. Un yogi est quelqu'un qui habituellement n’est pas très conventionnel mais plutôt libre intérieurement ; certains yogis des temps anciens étaient des mendiants errants et avaient fait le vœu de ne pas rester en un endroit donné plus d'un certain temps. Souvent, ils ne faisaient pas partie de grands monastères ou de grandes institutions. Dans son poème, Longchenpa parle de la voie des vrais yogis et dit qu'il y a six voies ou six observances d'un vrai yogi. L’une d'elles est de se laisser dériver tel un nuage, de ne pas être enchaîné, ne pas être attaché à un endroit particulier. Habituellement, les nuages voyagent et dérivent librement.

 

Quand j'étais jeune, j'avais aussi un fort désir de voyager à l'étranger. J'ai grandi dans un petit village, avec six ou sept familles. A l'époque, il y avait juste une route en terre et quand quelqu'un de mon village allait quelque part visiter une ville, il ou elle devenait la célébrité du moment. Les gens se rassemblaient autour de lui ou d’elle et lui posaient toutes sortes de questions à propos de la ville moderne qu'il ou elle avait visité. J'ai alors eu ce désir de voyager et d'explorer des lieux au-delà de ma communauté, et je me rappelle avoir regardé les nuages et m’être dit : peut-être que je pourrais voler et voyager avec les nuages et partir en voyage, en pèlerinage et visiter toutes sortes de lieux inconnus et de régions du monde, voir différentes cultures.

 

Ainsi, les nuages ont été utilisés comme merveilleuse analogie de la liberté ; non seulement ils sont beaux, ils mais ne s'attachent à aucun endroit en particulier. Ils sont transitoires, il se transforment sans cesse, ils n'ont pas de limites. Parfois, ils restent dans le ciel un moment, en haut d'une montagne, et ensuite ils repartent sans laisser la moindre trace. Dans certaines traditions bouddhistes, il y a des moines novices qui voyagent afin de trouver des enseignants spirituels : leur nom est « l’eau des nuages ». Habituellement, ils vont d’un endroit à l'autre en pèlerinage, à la recherche d'un maître spirituel qui puisse les guider plus loin dans leur voyage. Cette idée d'être l’eau des nuages en tant que moine novice à un sens beaucoup plus profond qui est de ne s’attacher à rien, à aucun endroit, aucune carrière, aucun style de vie mais d'être simplement en voyage perpétuel, à l'extérieur comme à l'intérieur. Dans les temps anciens, beaucoup de moines et de nonnes, de renonçants, ont vraiment voyagé. Ils avaient une sorte d'engagement, de profond engagement, à n'être enchaîné par aucun endroit particulier. Ils pouvaient rester dans un endroit pendant quelques semaines et ensuite repartir. Parfois, ils portaient une petite tente et un sac d’orge et ils voyageaient d'une région à la suivante. Ils utilisaient une expression qui signifie « voyager sans but particulier ni objectif particulier ». Lorsque je parle de destination, ce n’est pas comme le fait de dire : « demain j’irai ici, et après j'irai dans tel autre endroit et j’y resterai quelques mois. » Ils voyageaient sans avoir une idée claire de là où il se rendaient ; ils avaient un mode de vie incroyable.

 

Longchenpa lui-même a fait cela. Il a beaucoup voyagé, a passé du temps dans les montagnes, a voyagé dans différents royaumes tels que le Bhoutan… De même, Shabkarpa, grand maitre du Dzogchen, qui écrivit des textes célèbres dont celui intitulé « Le vol du Garuda », a aussi beaucoup voyagé au cours de sa vie, d'un endroit à l'autre et même d'un pays à un autre.

 

La raison pour laquelle ils voyageaient n'est pas tant qu'ils aimaient être occupés ou qu'ils avaient ce genre de personnalité : être cosmopolite ou membre de la jet-set (la jet set n’existait pas à l’époque). Ils avaient ce puissant engagement à n'être liés par aucune norme de la société ni par aucune communauté. Ils voulaient être libres pour pouvoir pratiquer continuellement le Dharma. Sinon, ils craignaient de se retrouver complètement liés par leur relation avec un monastère ou une communauté et ils ont réalisé qu'avant même qu'ils s'en rendent compte, ils pouvaient être complètement perdus à nouveau dans les jeux de l'ego, comme des jeux politiques, ou toutes sortes de préférences : aimer ces gens, ne pas aimer ces autres et se faire prendre dans tous ces jeux tels que le succès, la réputation, le prestige… Ils ont réalisé qu’ils pouvaient être complètement piégés par le fait de demeurer dans un endroit, une communauté particulière au moins : c'était leur préoccupation.

 

Je pense qu'on peut être libre en étant membre d'une société, d’une communauté, mais certains de ces anciens yogis étaient tellement courageux et tellement déterminés à être libres intérieurement qu'ils ont adopté ce style de vie de yogi errant. Comme Longchenpa l'a dit dans son poème : « Voyage comme un nuage et ne t'attache à aucun endroit particulier. »

 

Cette analogie d'être comme un nuage a bien sûr de nombreux sens. C'est évidemment littéral mais il y a aussi une signification plus profonde : il ne s’agit pas de devenir comme un de ces yogis, de quitter la société, de prendre sa valise et de voyager d'un endroit au suivant sans jamais avoir de demeure ou de carrière stables. Bien sûr, ce n'est pas l'intégralité du message. Peut-être que vous pouviez faire cela si vous viviez il y a quelques siècles. Je pense que c'est beaucoup plus difficile d'être un yogi errant aujourd'hui, mais on peut peut-être prendre ces enseignements, notamment comme cette analogie du nuage, et l'interpréter non pas comme si nous devions être littéralement un yogi errant mais plutôt en l’appliquant de manière à être libre intérieurement, être complètement libre. Il y a une manière de faire partie de la société,  de jouer le jeu de la société, dans la mesure où nous savons que ce n'est qu'un jeu, de ne pas croire aveuglément à ce jeu, tout en étant complètement libre intérieurement comme les yogis, comme les Mahasiddhas : être un vrai renonçant et libre intérieurement.

 

De temps à autres, nous devrions faire la démarche de ressentir intentionnellement qu'il y a ce pur esprit en chacun de nous qui est prêt à être éveillé, qui est qui nous sommes, notre véritable essence ; sachant cela, le personnage égoïque serait vu pour ce qu’il est,  c'est à dire pas ce que nous sommes mais celui qui est pris dans toutes sortes de désespoirs, d'attentes, de craintes, d’attachements et qui croit complètement dans toutes les vieilles illusions créées par la société. Il importe donc de ressentir cette aspiration à être en contact avec notre vraie essence, ce pur esprit innocent. Il se peut que nous ayons parfois besoin de faire un sorte de voyage pour retrouver notre vraie essence et réaliser que tous ces systèmes de valeurs conventionnels auxquels nous croyons sont juste illusoires, sont illusions, juste un jeu de plus. Tôt ou tard nous pourrions nous retrouver libre. Lorsque je parle d’en être libre, je ne parle pas de les rejeter littéralement, mais juste de savoir qu'il ne s'agit que d'illusions. Il y a une manière de maintenir notre style de vie, de continuer notre carrière et de faire partie de la société, de certaines communautés voire d'un groupe politique en n’étant lié,  intérieurement, par rien de tout cela.  Intérieurement, nous sommes alors complètement libres, nous ne vouons plus un culte aux vieux systèmes de valeurs ordinaires mais nous avons notre propre système de valeurs, un système de valeurs éveillées où il s'agirait de cultiver l'amour, la compassion et le nirvana. L'éveil serait notre valeur la plus élevée.

 

Toute cette conversation est inspirée par la poésie de Longchenpa, ainsi que par une conversation que j'ai eue avec un ami. Cet ami est une personne merveilleuse qui a une relativement belle vie et qui m’a dit qu'il pensait peut-être à émigrer dans un autre pays. Je lui ai demandé : pourquoi veux-tu partir, pourquoi veux-tu quitter ce pays ? Il a dit : eh bien, j'ai tout : j'ai un magnifique endroit où vivre, j'ai beaucoup d'amis, ma vie est extrêmement confortable. Il a dit qu'il fait partie des privilégiés, mais qu’en même temps il ressent qu’il est un peu enchaîné par tout ce confort et par tous les succès mondains qui sont les siens. Il ressent qu'il est dans une sorte de prison dorée. Il y a une part de lui qui réalise que le but de cette vie n'est pas simplement d'avoir le confort et la sécurité, et il ressent que peut-être il devrait tout laisser pour un moment et aller dans un autre pays. Il considère que de cette manière, même son chemin spirituel aurait plus de saveur. Il aspire ainsi à une sorte d'éveil radical dans sa pratique spirituelle.

 

Je connais aussi quelques personnes qui travaillaient dans des entreprises américaines avec des postes enviables et des situations assez prestigieuses, elles en tiraient de grands bénéfices, gagnaient beaucoup d'argent, avaient une bonne couverture santé… Beaucoup de gens auraient rêvé d'une telle situation. Pourtant, certaines d'entre elles ont réalisé à un certain moment qu'elles faisaient leur travail non pas parce qu'elles l’aimaient, ni parce que ce travail si bien payé était en accord avec leurs valeurs et leurs principes, mais parce que quelqu'un ou la société peut-être leur avait dit d'avoir une certaine formation, de prendre un tel travail qui apporte toutes sortes de récompenses, de succès et de gloire. Elles ont réalisé qu'elles étaient prises dans cette illusion et comment, en même temps, elles ressentaient comme une pesanteur dans leur cœur. Elles sentaient qu’elles étaient en fait enchaînées par leur situation et des valeurs auxquelles elles ne croyaient plus. Certaines ont décidé de quitter leur travail complètement, même si les membres de leur famille étaient un peu choqués et pensaient que leur fils ou leur fille avait perdu la tête. Ces personnes avaient juste besoin de partir quelques années pour réfléchir et reprendre contact avec leur essence profonde, simplement découvrir qui elles étaient car elles se sentaient perdues. Ces personnes dont je parle sont profondément spirituelles, elles pratiquaient la voie bouddhiste à l'époque ; c’est peut-être cela qui a causé des changements aussi radicaux. Elles ont continué leur voie dans la tradition bouddhiste. Certaines d'entre elles sont maintenant extrêmement heureuses, plus heureuses que jamais, et considèrent qu’avoir fait ce choix radical leur a permis d'être heureuses en tant qu'êtres humains et aussi de faire un travail qui s'accorde avec leur système de valeurs qui est peut-être plutôt de faire le bien des autres, ou du monde, ou de l'environnement. Elles ressentent aussi que leur pratique spirituelle s'est bien améliorée.

 

Je ne veux pas dire que vous devez faire des changements radicaux dès maintenant pour être comme ces yogis errants, quitter votre travail et changer de pays, mais mon invitation serait juste de ressentir cette aspiration à découvrir votre essence véritable. Il y a une manière de continuer votre carrière et de faire partie de votre propre société mais il y a aussi une manière d'être totalement libre intérieurement, de ne pas croire complètement à ce système de valeurs que la société vous impose. Vous pouvez être un yogi caché. Nous appelons cela un yogi caché, quelqu'un qui fait partie de la société, qui a un style de vie très ordinaire et dont personne ne penserait que cette personne est un yogi, un esprit libéré parce qu’extérieurement il est tellement ordinaire, mondain : peut-être que vous jouez au golf ou que vous faites partie d'un club de golf, vous portez des baskets et vous conduisez une voiture de luxe. Personne ne penserait de vous que vous êtes un yogi extraordinaire.

 

Vous pouvez jouer le jeu de la société, mais sans être perdu, sans être pris par cela. Vous êtes prêts à en profiter mais aussi à l'abandonner si vous en ressentez le besoin. C’est ce qu'on appelle en tibétain un yogi caché. Peut-être que vous pouvez aspirer à devenir non pas un yogi errant, mais peut-être un yogi caché. Je vous invite donc à être un yogi caché.

 

Gratitude.




L’art du « pas d’esprit » – Enseignement du 13/09/2020

 

Il y a des icônes, des modèles extraordinaires, comme les bodhisattvas. Il y a huit célèbres bodhisattvas comme Manjushri, Avalokiteshvara, Guanyin. Ces bodhisattvas sont très aimés en Orient, les gens leur ont voué un culte et leur ont érigé des statues, en tant que manière d'invoquer l'esprit et le cœur de ces bodhisattvas dans leur propre conscience.

 

De la même manière, il y a également, dans toutes les lignées, des maîtres extraordinaires qui sont très aimés par les adeptes de ces lignées à travers les générations, et les gens, même aujourd'hui, récitent les louanges de ces grands maîtres du passé. Ainsi, dans la tradition tibétaine, chaque fois que l'on fait une liturgie, on récite toute une prière pour établir les bases de la liturgie, cette prière s'appelle la prière à la lignée.

Dans cette prière, on récite ces strophes où il s'agit de rendre hommage aux maîtres de la lignée tels que Yéshé Tsogyal, Padmasambhava, Longchenpa, et ainsi de suite. Cette prière décrit souvent les qualités éveillées de ces grands Mahasiddhas et de ces maîtres de manière à mettre en lumière ces qualités, qui sont des qualités surnaturelles et transcendantes. À moins de faire partie de la lignée, notre esprit ordinaire pourrait avoir du mal à comprendre, car cela semble vraiment extraordinaire.

 

Je décrirai l'une des nobles qualités de ces maîtres de lignées dans un langage contemporain : ils sont très mûrs, ils ont une grande maturité émotionnelle. Bien sûr, dans ma compréhension ces maîtres étonnants sont des êtres éveillés. Ils sont plus que simplement mûrs émotionnellement. Si j'essaie de décrire qui ils sont à quelqu'un qui ne fait pas partie de ma lignée et qui peut-être n'a pas beaucoup de culture spirituelle, je dirais que ces maitres de la lignée sont des êtres émotionnellement très mûrs. Ça ne semble pas vraiment extraordinaire, mais d'un autre côté, être mûr émotionnellement est une qualité vraiment importante à posséder pour un être humain - puisque notre société a des difficultés avec ce problème particulier, le manque de maturité émotionnelle.  

 

Bien sûr, Il y a beaucoup de gens qui sont très mûrs émotionnellement, mais en général, il y a plutôt un sens de manque de maturité émotionnelle dans la société moderne. Peut-être qu'il en a toujours été ainsi dans l'histoire. Cette immaturité émotionnelle se manifeste sous diverses formes : dans les comportements sociaux, les comportements individuels ainsi que dans la politique et par rapport aux problèmes sociaux. Il y a beaucoup, beaucoup, d'exemples, des milliers d'exemples de cela. C’est un raisonnement pour montrer qu'il y a une immaturité émotionnelle très répandue.

 

L'une des personnes qui m'a frappé en tant que personne émotionnellement mûre était Khenpo Jigmé Phuntsok. En français, on l'aurait appelé Sa Sainteté. J’ai une croyance totale dans le fait qu'il était un des plus extraordinaires maîtres spirituels en ce monde. Il a quitté ce monde il y a déjà longtemps. Il était un moine impeccable et un renonçant. Quand je le rencontrais, je me sentais assis devant une montagne géante dont émanait tellement d'amour et de bonté. J’ai eu vraiment d’intéressantes expériences en m'asseyant en face de lui, c'étaient des expériences vraiment puissantes, que je ne partage pas tellement avec les autres. Ces expériences puissantes, je les garde pour moi-même. Même si j'ai passé peu de temps avec lui, j'ai reçu une seule fois des Abishekas, des initiations tantriques avec lui mais ma rencontre avec lui a laissé un puissant impact sur mon psychisme.

 

Je sentais donc que c'était une montagne géante, qu’il était courageux, compatissant, plein de dignité. En sa présence, je sentais qu’il m’aidait par sa bonté aimante ; il était l'un de ces maîtres spirituels dont je sentais, quand j'étais avec lui, qu’il ne voulait rien recevoir de moi, c’était vraiment extraordinaire, il ne me jugeait en rien, il acceptait parfaitement qui j'étais. C’était vraiment très, très, étonnant. C’est émouvant pour moi de penser à ces moments où j'étais assis en sa présence. Ainsi, je dirais qu'il était quelqu'un, pas simplement un grand archétype, mais une personne vivante qui incarnait les nobles qualités des bodhisattvas, telles que le courage, la dignité et l'amour.

 

Mais il y a aussi d'autres maîtres spirituels avec qui j'ai étudié et que j'ai également trouvés extrêmement mûrs émotionnellement. Ainsi, j'ai passé beaucoup de temps avec Lama Tsurlo, Je mentionne son nom très fréquemment. Je sentais qu'il était tellement établi dans une équanimité inébranlable que jamais il ne perdait son calme, sa dignité et qu’il aimait tout le monde. Il aimait ses proches, ses étudiants ainsi que des étrangers. Pour moi, il était en mesure d'aimer tout le monde de manière équitable et rien que cela, c'est vraiment impressionnant.

 

Il y a donc ces êtres humains qui ne sont pas que des figures historiques mais des êtres humains réels, qui ont démontré une telle maturité émotionnelle - tandis que la société se débat avec ce problème d'immaturité émotionnelle, qui en engendre beaucoup d’autres. Certains de ces problèmes viennent du fait que les gens ne savent pas travailler avec leur esprit, leurs pensées et leurs émotions. Les gens finissent par être aux prises avec toutes sortes de problèmes fondamentaux comme la peur, le désespoir, la solitude, et que font les gens pour travailler avec ses émotions ? En premier lieu, ils ne savent pas comment travailler avec parce qu’inconsciemment ils ont tendance à se complaire dans ces émotions si puissantes, même si ses émotions ne sont pas eux-mêmes. Mais quand on a tendance à s'identifier avec les émotions, elles peuvent causer tellement de souffrance, de douleur, et pourtant les gens sont en quelque sorte accrochés, dépendants de ces puissantes émotions qui causent tellement de chagrin.

 

Je ne me rappelle plus quand j'ai vu cela, mais j'ai vu quelque part une sorte de dessin humoristique bouddhiste où un méditant étais assis sur un coussin et il avait attrapé un caillou avec lequel il frappait sa propre tête en criant : « arrête de frapper ! », ou quelque chose comme ça. J’ai travaillé sur quelques dessins humoristiques de ce genre en essayant d’amener de l'humour sur la condition humaine. C'est un peu comme ça. On a tendance à s'identifier et à vraiment se perdre dans nos pensées, dans nos émotions, pas seulement des jours mais des années, c'est vraiment douloureux. Prenons la colère, la colère n’est pas quelque chose de bon, pourtant des gens deviennent dépendants de la colère, qui se transforme en haine, et cela cause tellement de souffrance. Ce n’est pas que les gens souhaitent souffrir. Parfois, ils n'ont même pas conscience de ce qui se produit dans leur psychisme et inconsciemment, ils se perdent complètement, se font complétement prendre dans leur colère, s'immergent dans toutes les puissantes émotions comme la haine ou la peur.

 

On a aussi tendance à se complaire dans toutes ces histoires, ces récits, ces récits négatifs, par exemple à propos de la vie, de soi-même :« Je ne suis pas assez bon, je ne suis pas beau, je n'ai pas assez d'argent, personne ne m’aime ». Je suis sûr que tous ces récits sont assez familiers à beaucoup d'êtres humains. Les gens, d’une certaine manière, ont vraiment tendance à se complaire dans ces récits négatifs, même si ça ne produit rien de bon. Ça ne produit que la misère, mais d'une certaine manière, les gens sont vraiment accros à ces récits, s'y complaisent, et si on leur dit que ce ne sont que des récits, cela les met même en difficulté.

 

Je me rappelle une fois où une personne est venue chez moi pour avoir un entretien. Cette personne a passé pas mal de temps à parler de ses problèmes, un bon moment. Je lui ai dit : « Mais votre vie n’est pas si mal telle qu’elle est. Peut-être que tous les problèmes dont vous parlez ont à voir avec votre état d'esprit. Si vous décidiez de modifier votre état d'esprit et de laisser aller un peu vos schémas de pensée, ces récits négatifs à propos de vous-même ? » Elle était vraiment en difficulté. Elle m’a dit : « c'est facile pour vous de dire cela, parce que votre vie est merveilleuse. » C’était sa réponse. Je comprends parfaitement d'où elle venait, et elle était vraiment honnête et sincère. Beaucoup de gens auraient pu être en difficulté et ne rien dire, mais elle était très honnête et courageuse.

Je me souviens de cette très intéressante conversation que j'ai eue avec elle durant cet entretien parce qu'elle était vraiment en difficulté. Je pense que beaucoup, la plupart des gens, seraient en difficulté si on leur disait que l’essentiel de leurs problèmes sont le produit de ce qu’ils se racontent dans leur tête, et qu’il suffit de les transcender ! Bien sûr c'est très difficile à entendre, cela semble très abstrait et le conseil d’un cœur froid, qui vient de quelqu'un qui considère ces problèmes comme juste des constructions mentales. De telles suggestions peuvent donc être vraiment difficile à entendre pour presque tout le monde.

 

Ce que je veux dire, c'est que l’on a cette tendance humaine à se complaire inconsciemment dans ces puissantes pensées, ces systèmes de croyances, ces émotions, pendant des années et des années, même si cela ne cause que de la souffrance et qu’on le sait tous. Mais les gens veulent également s'échapper de ces puissantes émotions dans lesquelles ils se complaisent en permanence. La stratégie habituelle, les méthodes pour échapper à ces expériences douloureuses ne sont souvent pas des méthodes sages, mais plutôt d'anesthésier un peu les sens.

 

C'est pour cela que beaucoup de gens se complaisent dans les plaisirs sensuels et l'usage de substances diverses. Je ne dis pas que l'usage de substances est bon ou mauvais, mais souvent c'est ce que les gens utilisent, diverses substances intoxicantes pour s'anesthésier, pour s’insensibiliser. Il y a toutes sortes de substances utilisables pour atténuer la douleur, la solitude, la colère, c’est ce qui se fait dans la société. Mais il y a une sorte de contradiction dans ce que font les gens puisque d'un côté nous sommes ceux qui nous complaisons dans ces émotions et ces schémas de pensée, et nous sommes également ceux qui voulons nous insensibiliser, nous anesthésier pour ne pas ressentir la douleur qui provient de telles tendances. Il y a donc quelque chose d’un peu contradictoire.

 

C'est comme si on tenait cette pierre comme le méditant du dessin humoristique en se frappant nous-mêmes, tout en essayant d'échapper à cette douleur, ce qui est totalement humoristique dans un certain sens. Cela a à voir avec le fait qu'en général, la société ne propose pas d'éducation spirituelle. On envoie ses enfants à l'école, ils apprennent plein de choses merveilleuses, des maths, des sciences, des langues, l’histoire du monde, mais souvent ils ne sont pas très entraînés spirituellement. Cela fait sens puisque la spiritualité est parfois accompagnée de religiosité. La société à raison d'être prudente par rapport à cela, mais je pense que la pratique spirituelle et l'entraînement spirituel peuvent être inclus dans tous les aspects de la société y compris l'école. Ce n'est pas forcément lié à telle ou telle obédience religieuse.

 

Ainsi, beaucoup de gens embrassent le mindfullness, la pleine conscience et on peut constater que ça devient une tendance assez répandue qui est utilisée dans diverses institutions : à l'école, dans les prisons, dans les hôpitaux ou dans les entreprises. Bien sûr, c’est un mouvement très inspirant. Au moins, le mouvement du mindfullness n’est pas vraiment lié à la religion et presque chacun peut pratiquer le mindfullness ou la pleine conscience, quelles que soient ses croyances, son style de vie, ses préférences, ses opinions politiques. Le mindfullness enseigne aux gens à garder leur dignité, à travailler avec leurs pensées et leurs émotions, à être ancrés en eux-mêmes, à être vraiment forts face à leurs propres défis intérieurs tels que Ces puissantes pensées et émotions.

 

En général, il n'y a pas d'enseignement spirituel dans la société, en particulier dans la société séculière, et c'est pourquoi les gens utilisent des substances et parfois des distractions pour s’anesthésier complètement. Les gens utilisent ces substances afin d'échapper à eux-mêmes. Dans un certain sens, peut-être qu'ils font l'expérience d’une fausse transcendance.

 

Toutefois, il y a une vraie transcendance, dont je voudrais parler ; on peut faire l’expérience de cette vraie transcendance en lâchant l’esprit pensant. La méthode est simple. Quand l'esprit pensant, le mental, n’est plus là, tous les problèmes, tous les récits, sont partis au moins pour un temps ainsi que toutes les expériences douloureuses, puisque ces expériences douloureuses sont entretenues par nos pensées et les récits qu’on se fait dans sa tête. Il s'agit d'utiliser les méthodes traditionnelles, les pratiques traditionnelles pour laisser tomber le mental et l'esprit qui pense. C’est très différent des substances intoxicantes qui procurent cette pseudo transcendance ou ce genre de chose, où tout peut être OK pendant un moment, pendant un moment on s’oublie soi-même, on oublie ses problèmes, le passé, l'avenir, ces choses qu'on doit payer, et on peut être extatique ; mais c’est une pseudo-transcendance parce qu’à la fin, elle pose davantage de problèmes qu’elle n'apporte de vraies solutions.

 

Mais il y a des manières de laisser tomber ce mental pensant immédiatement, avec toutes ses pensées et ses récits. Les maîtres du Dzogchen ont développé des méthodes radicales qui sont intrinsèquement simples mais très efficaces pour relâcher le mental. L'une des méthodes qu'ils utilisaient était l'exclamation de la syllabe Phat, peut-être que j’en ai déjà parlé dans d'autres d'enseignements. Patrul Rinpoché, un grand maître du Dzogchen, a écrit ces strophes connues comme « les trois mots de Prahevajra [ou Garab Dordjé] ». Il est très connu, même s’il est bref. On enseigne souvent sur ce texte et les gens méditent dessus, c'est l'un de ces textes qui résument la totalité des enseignements du Dzogchen. Patrul Rinpoché y dit : « Détendez-vous, et soudainement exclamez la syllabe « Phat » fort et puissamment, immédiatement, et alors votre esprit sera choqué, il n'y aura plus aucune pensée et pourtant l'esprit sera transparent. » Cela signifie qu’il ne sera pas inconscient, que ce ne sera pas une absence de mental. « Transparent » signifie que l'esprit n'est plus perdu dans les pensées mais qu'il est maintenant cette conscience dynamique et indescriptible.

 

J'aime bien ce passage que j'utilise souvent dans ma propre pratique, et je l’utilise également dans mes enseignements. J'ai entendu dire qu'une fois, Sa Sainteté Khenpo Jigmé Phuntsok est allé en Inde où il a rencontré de grands lamas tibétains, et beaucoup d'entre eux avaient de profonds dialogues philosophiques sur la doctrine bouddhiste. L’un de ces étonnants lamas a demandé à Sa Sainteté Khenpo Jigmé Phuntsok la signification de ce passage de Patrul Rinpoché. Même s’il semble simple, il est très important puisqu'il enseigne cette simple méthode qui permet de lâcher le mental sur-le-champ, immédiatement.

 

J'ai un ami qui est un moine ainsi qu'un maître zen en Corée du Sud. C'est un très bon ami à moi, qui m'invite toujours à son temple chaque fois que je voyage en Corée du Sud. Il a l’esprit très ouvert, il s'intéresse beaucoup au bouddhisme tibétain, il est allé en Inde pour étudier le bouddhisme tibétain et notamment le Lojong, l'entraînement de l’'esprit. Il s’intéresse aussi au Chöd, ainsi qu'au Dzogchen. Une fois, lui et moi avions une conversation spontanée à son temple ; je ne savais pas ce qu’il allait me demander, et il m’a dit : « ce que vous appelez Dzogchen semble vraiment profond. » Il n’a peut-être pas dit ça exactement, mais il a montré un grand intérêt envers le Dzogchen. Il voulait parler du Dzogchen et je ne savais pas par quoi commencer, mais je me souviens d’une chose que je lui ai dite, c’est que la principale méthode dans le Dzogchen c’est d’exprimer la syllabe « Phat » aussi fort que possible. Il était très content. Il a dit : « dans ma tradition, on utilise également un son qui ressemble un peu à Phat pour lâcher le mental. » 

 

Le point c’est qu'il y a vraiment des manières extrêmement simples de lâcher le mental, pour se retrouver dans cet état auquel on n’a pas besoin de donner un nom mais que l’on appeler la vraie transcendance, la liberté intérieure, la pure conscience. Ces noms n’importent pas vraiment, on peut utiliser celui qu'on veut, n’en utiliser aucun pourrait être aussi bien, mais le but est de lâcher le mental pensant, l'esprit discursif d'un seul coup en exclamant « Phat », avec bien sûr l’intention correcte.

 

Permettez-moi de retourner en arrière et d’explorer un peu le sens de ce texte. Patrul Rinpoché dit : « de temps en temps, détendez-vous et asseyez-vous dans une posture confortable et immédiatement, sans aucune analyse ou longue préparation, juste immédiatement, criez cette syllabe « Phat » aussi fort que vous le pouvez, tellement puissamment que vous pourriez sentir que la terre entière tremble. » C’est l’idée. Quand vous faites cela, ce qui se passe, c’est qu’immédiatement toutes vos pensées sont interrompues, tous les récits intérieurs que vous avez dans la tête ont disparu, parce que votre esprit à cet instant est vraiment choqué. Et à ce moment, Patrul Rinpoché dit qu’il n’y a plus de pensées, plus de point de référence. L'esprit est complètement en état de choc et il y a cette conscience vibrante et lumineuse, vos sens sont plus aigus et vraiment tranchants alors que d’habitude nos sens, nos facultés sensorielles ne sont pas vraiment affûtés puisque l’on est toujours perdu dans nos pensées.

 

Je vous donnerai un exemple. Parfois les ventilateurs, les réfrigérateurs, font du bruit. J’ai remarqué que quand je ne médite pas, souvent je ne les entends pas. Bien sûr, je les entends mais mon esprit peut être perdu dans d’autres choses. Mes oreilles peuvent entendre tous ces bruits autour de moi : les ventilateurs, les réfrigérateurs… Tous ces sons sont surpassés par le fait que je sois perdu dans mon esprit pensant, où  tellement de pensées se produisent. Mais quand je médite, je ressens que je deviens vraiment conscient du son du réfrigérateur qui fait du bruit. Ce n’est pas que ça me dérange. Je finis parfois par vraiment l'apprécier, je ne l’appelle plus bruit, je l'aime bien. Je peux même méditer sur ce son et toutes mes pensées ordinaires sont parties, je ressens parfois que méditer sur le bruit du réfrigérateur est beaucoup plus amusant que d'entretenir ou être perdu dans des pensées mondaines ordinaires.

 

J’ai remarqué que mes sens sont vraiment très affûtés quand je médite. Je peux entendre tous ces sons, tous ces bruits que je ne remarque pas ordinairement ou même si je les entends, je ne les entends pas vraiment. Et donc, zang thal le en tibétain, transparent, signifie que soudain votre esprit, non seulement n'est plus collé dans les pensées mais il est tellement ouvert et vibrant que vos sens deviennent aigus, affûtés. Vous pouvez ressentir tout ce qui se produit à ce moment. L’esprit qui pensait constamment s’est dissout pendant quelques secondes et cela peut être très libérateur, car s’il y a une douleur continue dans votre esprit, je ne veux pas dire une douleur physique, mais plutôt une douleur émotionnelle, une contraction en vous-même, elle sera dissoute immédiatement.   

 

Souvent, notre esprit pensant est celui qui cause notre souffrance, qui peut être vraiment problématique ; mais si nous savons travailler avec lui, si nous savons le dépasser de temps en temps, je pense que la vie peut être plus joyeuse, voire extraordinaire. Quoiqu’il se produise dans votre vie, quelle que soit la situation que vous traversez, vous pouvez être assez heureux. C'est aussi très difficile à accepter mais quand nous sommes dans un certain état d'esprit, cette affirmation peut faire sens. Certains maîtres tibétains pratiquent ce qu'ils appellent le contentement, le noble contentement. Bien sûr, le contentement n’appartient pas strictement au bouddhisme tibétain, mais ce noble contentement est cette idée que tant qu'il y a à manger et tant que vous avez un toit au-dessus de la tête, vous pouvez être heureux. C’est vraiment difficile comme proposition pour à peu près tout le monde, et en particulier pour les gens de l'époque moderne qui sont des créatures de confort et de luxe, plus que jamais. Je pense que nous sommes des créatures de confort et de luxe, en comparaison avec nos ancêtres et leurs ancêtres.

 

Dernièrement, je regardais une fiction dont l’action se passait il y a peut-être mille ans. Ce n’était qu’une fiction. Quelqu’un avait imaginé de réunir ces gens, il avait aussi recréé cet environnement qui était plus ancien, qui avait plus de mille ans. Cela se passait en Europe, le roi vivait dans une maison qui était supposée être un palais mais par rapport aux standards contemporains, cela ne ressemblait pas du tout à un palais. Ils mangeaient de la nourriture vraiment simple, rien de très raffiné ou délicat.

 

Quoi qu'il en soit, ce que je veux dire c'est que les gens de l'époque moderne jouissent d’un niveau jamais atteint de luxe et de confort, tandis que ces maîtres tibétains du passé pratiquaient le noble contentement et avaient cette philosophie selon laquelle on peut être vraiment heureux tant qu'on a un toit sur la tête et à manger. Cette philosophie est tellement difficile à vendre à qui que ce soit aujourd’hui… Cela peut vraiment mettre en difficulté.

 

Si je dis que cela a été dit par les anciens maîtres du passé, pas par moi, ce n'est pas vraiment moi qui dis ça, donc je suis hors de cause, je cite toujours les textes des profonds enseignements des maitres tibétains du passé. Le point c’est que si nous apprenons à lâcher l'esprit pensant de temps en temps, nous pouvons avoir beaucoup plus de joie dans notre vie quotidienne, quoi qu'il se passe autour de nous, parce que l'esprit pensant est un état d'esprit qui est constamment en train d’inventer toutes sortes de récits, d'histoire, mais dans le contexte de ce qu'on appelle dans le bouddhisme la dualité. La dualité est quelque chose qui rétrécit le soi, ce qui est une façon de rétrécir la manière dont nous regardons la réalité.

 

Dans le bouddhisme, il y a la notion d'omniscience ou d'esprit de Bouddha. Ce terme peut être un peu trompeur pour les occidentaux parce que l'omniscience en français porte déjà beaucoup de concepts, notamment dans le contexte du judéo-christianisme. Nous utilisons beaucoup de mots existants pour traduire les concepts bouddhistes, ce qui pet être un peu piègeux. A propos de l’expression qui signifie « esprit omniscient » ou « esprit qui connaît tout », il est dit au Tibet que si on prononce ces mots : tham khyen, dans l'oreille de quelqu'un, ce qui se passe, c’est que des graines d'éveil sont transférées dans la conscience ce cette personne.

 

J'allais dans les magasins quand j'étais petit et je disais « tham khyen » - tout bas, je n’avais pas le courage de le dire très fort - et j'espérais qu’immédiatement les graines de l'éveil seraient transplantées dans la conscience, dans l'esprit de cette personne. Qu’est-ce que « tham khyen » dans le bouddhisme ? Ce que les tibétains disent, c’est que la différence entre notre esprit ordinaire, dualiste, égoïste et l'esprit de Bouddha, c'est que notre esprit égoïque a tendance à regarder les choses de manière très étroite, tandis que l'esprit omniscient ou l'esprit de Bouddha a tendance à être témoin de tout de manière impartiale et d’un point de vue spacieux. J’espère que cela vous parle. C'est vraiment la définition de l'esprit de Bouddha, de l'esprit omniscient.

 

Il y a donc diverses manières de laisser tomber l'esprit pensant. Vous pouvez vous exclamer « Phat », ou vous n’avez pas à exclamer quoi que ce soit. Vous pouvez vous asseoir dans une posture de méditation qui peut, par elle seule, vous aider à laisser tomber l’esprit pensant immédiatement - et vous n’avez même pas besoin de pratiquer des postures de méditation. Energétiquement, vous pouvez lâcher l’esprit pensant. Au Tibet, certains pratiquants du Dzogchen roulaient les yeux. Il y a des gens qui font ça en tant que performance mais parfois ces merveilleux pratiquants du Dzogchen s'arrêtaient soudain au milieu d'une conversation, et faisaient rouler leurs yeux. Ce qu’ils faisaient, c'est juste simplement laisser tomber l'esprit pensant, tout ce qu’ils avaient à faire c’était de rouler des yeux plusieurs fois. Ça peut sembler étrange pour les occidentaux mais au Tibet, cela semblait normal. Cela semblait normal que ces yogis s'arrêtent au milieu de la conversation pour faire rouler leurs yeux, et ce qu’ils faisaient, en fait, c'est juste laisser tomber l'esprit pensant - mais vous n'avez même pas besoin de rouler les yeux. Énergétiquement, laisser tomber l'esprit pensant sur-le-champ, c'est tellement simple, tellement facile, cela demande seulement de générer l’intention. Vous pouvez faire cela énergétiquement et intuitivement, juste laisser tomber vos pensées un moment, complètement.

 

Ce n’est pas comme si vous aviez besoin d'être dans cet état en permanence. La recommandation est de vous souvenir de faire cela de temps en temps, c'est tout ce qui est demandé. Souvenez-vous simplement, de temps en temps, de laisser complètement tomber l'esprit pensant et alors la souffrance, les soucis, les récits avec lesquels vous êtes collés depuis les dernières minutes ou les dernières heures cesseront. La réalité dans laquelle vous étiez à ce moment-là va s'effondrer d'un coup, et le changement dont vous ferez l’expérience sera comme de passer d’une galaxie à une autre galaxie, c'est un changement très puissant. La réalité précédente qui était étroite, contractée et conflictuelle, va s'effondrer littéralement sur-le-champ, juste en laissant tomber l'esprit pensant. Il n'y aura plus tellement de pensées et ce dont vous ferez l'expérience, c'est ce que Patrul Rinpoché a décrit comme cette conscience, appelons-la cette « conscience présente », le sentiment d'être vivant, en contact avec tout ce qui se produit, dans un sens pur, sans interprétation erronée de vos pensées. Être en contact avec vos sensations du moment précis, les couleurs, les sons, les sensations et cela s'accompagne d'une vue profonde, d'une vision non conceptuelle, qui connaît non pas par les concepts mais intuitivement la nature de la réalité, la grande manifestation de la vie.

 

J'espère que cela fait sens pour vous tous, mais tout cela est simplement de la théorie. Tout ce que j'ai dit est de la théorie à moins de le pratiquer, et je crois que vous savez tous comment faire cette pratique qui est l'art du « pas de mental ». C’est une méthode très simple. Certains d'entre vous peuvent vouloir utiliser un mantra, ou la syllabe Phat, utiliser des postures de méditation ou des méthodes vraiment simples pour laisser tomber l'esprit pensant ; ou vous pouvez juste vouloir faire ça intuitivement, énergétiquement. Vous savez déjà comment faire.

 

Ce n'est pas une connaissance qu'il faut apprendre, lire dans de nombreux textes pour acquérir ou assister à de nombreux enseignements. Mais cette connaissance, cette vision de la manière de faire cette pratique est déjà en nous, c'est une intelligence innée. On connaît cela intuitivement. Cela peut être vraiment bénéfique pour nous tous, spécialement quand le monde est assez tourmenté, comme en ce moment, et il y a vraiment des problèmes extérieurs, qui ne sont pas imaginaires ; mais en tant qu'humanité, nous avons le choix quant à notre manière de répondre à cette tourmente extérieure : les inondations, les incendies, le drame politique. Nous avons le choix de la manière dont nous faisons le choix de répondre à cela depuis notre état de conscience le plus élevé, ce qui serait vraiment bénéfique pour vous-même ainsi que pour ceux qui vous entourent.

 

Merci à tous d'avoir assisté à cette pratique et à cet enseignement. Merci d'être des bodhisattvas, et merci d'être une lumière inspirante pour le monde.

 

Gratitude.


Enseignement du 1/11/2020 – Healing the world

Dans la culture bouddhiste tantrique beaucoup de gens sont végétariens et la plupart des tibétains ne prennent pas de vie. Cependant, lorsque des nomades prennent la vie d’un yack ou d’un animal, pas pour le sport ni comme une sorte de plaisir mais par nécessité, ces nomades récitent des mantras pendant longtemps et pratiquent des prières et montrent énormément de compassion et d’amour pour le yack. Même après que l’animal soit abattu, ils récitent des prières et des mantras pour honorer cet animal.

 Toutes ces cultures ont une merveilleuse sagesse spirituelle et une vision qui comprend de telles connexions et ils pratiquent le respect. Dans notre société moderne, que j’appelle capitaliste matérialiste, ce qui est une sorte d’invention du monde occidental, peut-être depuis la révolution industrielle, le problème majeur que nous rencontrons est la dégradation de l’environnement. Nous avons oublié comment respecter le monde, les animaux, nous-même.
Je veux tous vous inviter à considérer l’expression « dégradation de l’environnement ». Je pense que cela explique tout. Cela explique ce qui se passe dans le monde et la genèse de tant de problèmes : les guerres, le changement climatique, l’extinction des espèces animales et la crise mentale, psychologique, émotionnelle et spirituelle à laquelle nous faisons face. Tout cela vient du fait que, d’une certaine manière, nous avons oublié comment respecter le monde.
Il existe un paradigme capitaliste matérialiste qui a été développé par le monde occidental et qui dit que nous sommes l’espèce la plus puissante du monde et le centre de l’existence. Nous allons soumettre et conquérir tout sauf nous-mêmes : la nature, les espèces, et faire croitre sans cesse notre mode de vie, notre richesse, notre pouvoir, notre gloire, en exploitant le monde. En ce sens, il n’y a plus de respect,.
On peut voir cela partout. La façon dont tout est mené dans le monde moderne montre qu’il y a bien peu de respect pour la nature et les animaux et cela fait que nous ne nous respectons pas non plus les uns les autres. C’est pour cela que les relations humaines aussi se dégradent tellement. Il est temps pour nous de revenir en arrière et d’apprendre ce que nous disaient les anciens. Je ne dis pas que le capitalisme est totalement mauvais. Certains disent qu’il a fait sortir beaucoup de personnes de la pauvreté et c’est peut-être vrai, mais le capitalisme et la libre concurrence, toute cette modernisation, ont besoin d’éthique, de conscience. Sinon, ils peuvent être de dangereuses bêtes sauvages et détruire le monde naturel et nous détruire spirituellement également.
Je n’ai pas besoin de déployer des preuves et des arguments pour vous convaincre que nous faisons tous les jours l’expérience des conséquences destructrices de la dégradation de l’environnement. Je vis en Californie du Nord, qui est un endroit extraordinaire et je crois que beaucoup de gens pensent que c’est le paradis sur terre. Lorsque je parle aux membres de ma famille au Tibet, ils me disent : « quelle chance tu as ! tu vis dans un endroit merveilleux qui est comme le paradis sur terre ! » Cela a été longtemps vrai. Je suis venu dans ce pays il y a longtemps et la Californie était un endroit merveilleux. Je pensais que c’était le paradis sur terre mais ces dernières années, nous avons eu de nombreuses catastrophes naturelles, le feu et la pollution partout. Je ne pense pas que qui que ce soit de sain d’esprit puisse nier l’impact destructeur de la dégradation de l’environnement.
Il est temps de nous regrouper et d’élever le niveau de conscience. Il y a un immense éveil, en ce moment même, dans le monde entier. C’est un éveil sans précédent, un éveil écologique. Mais cet éveil est plus que l’idée de réaliser soudain la connexion interdépendante entre la nature et les êtres humains. Nous devons respecter la nature mais il y a aussi l’idée que nous devons nous respecter les uns les autres et amener la conscience vers le pire de ce qui existe dans le système et ne fonctionne plus dans ce monde. C’est un puissant éveil et beaucoup de gens font partie de ce mouvement. Je pense que n’importe quelle personne qui se joint maintenant à nous fait partie de ce mouvement d’éveil sacré.
C’est un mouvement sacré qui est basé sur la compassion et l’amour. Je pense que tous les mouvements doivent s’appuyer sur la compassion et la sagesse sinon, ils peuvent avoir un effet destructeur. Je crois que d’une certaine façon, vous faites partie de ce merveilleux mouvement d’éveil, d’éveil écologique.
En même temps, il y a indéniablement de l’inconscience dans ce monde et ce n’est pas juste le problème de quelques individus. C’est plutôt un problème actuel et il y a beaucoup d’institutions et de politiciens qui sont sous le joug de cette inconscience. Il y a un déni de ce qui se passe dans le monde et ce déni n’est pas bon pour nous. C’est un poison mental et finalement une folie, dans ma compréhension.
Nous ne devons pas penser seulement à notre bien-être mais à celui des générations futures, à l’humanité qui va hériter de cette merveilleuse planète dont nous sommes supposés être les gardiens. Lorsqu’elles regarderont vers le passé, elles nous jugeront en tant que gardiens et il se peut qu’elles disent : « Oh, les ancêtres ont fait du bon travail » ou « Quelle bande de sauvages ! ils ont complètement détruit la nature. » Il ne faut pas penser seulement à nous mais mettre les générations futures dans notre cœur.
Ce n’est pas désespéré. Il y a toujours de l’espoir. Ce n’est pas comme si nous allions tous nous asseoir et dire : « Oh, tout est en train de mourir. Tout va continuer à se détruire encore et encore. » Il faut rester optimiste, rationnel, et je pense que nous avons la sagesse et les moyens de changer le cours de choses. Nous avons la sagesse nécessaire, nous n’avons pas besoin d’inventer une nouvelle sagesse. Il nous suffit de revenir en arrière et d’écouter les voix des anciens, les maitres bouddhistes et tous les sages des cultures autochtones. Ils ont déjà la sagesse. Nous avons aussi des moyens comme les cérémonies, les pratiques spirituelles et peut-être toutes les nouvelles technologies comme les sciences de l’écologie. La science peut être bienveillante, elle n’est pas toujours destructrice, ni la technologie. La technologie peut être amicale, bienveillante, il n’y a pas d’obligation à ce qu’elle soit toujours destructrice.
Dans la culture tibétaine, on avait déjà compris ce problème il y a longtemps. On utilise un mot qui signifie « polluant » ou « contaminant ». Les tibétains avaient compris que le contaminant pouvait causer un déséquilibre et un désordre dans les relations entre les humains et le monde de la nature. Ils ont alors inventé et développé de nombreuses pratiques spirituelles, des cérémonies de guérison, pour guérir ce désordre et pour purifier la contamination et apporter un nouvel équilibre, une harmonie et une guérison dans cette relation et cela commence évidemment par le respect envers la nature. Les tibétains, ainsi que beaucoup de membres de populations autochtones, croient que tout est sacré. Les tibétains et spécialement les pratiquants du bouddhisme tantrique ont une merveilleuse philosophie, une vision sacrée, qui leur fait tout voir comme sacré : les arbres, l’eau, les nuages, tout ce qui existe est sacré. C’est ce qui leur fait ressentir un respect naturel pour tout ce qui existe. Beaucoup de cultures autochtones croient que toute existence est sacrée et que tout est une demeure du divin, une demeure des esprits. Beaucoup de tibétains pensent que la nature n’est pas quelque chose de mort ou que nous pouvons utiliser et exploiter mais qu’elle est déjà sacré. Ils parlent d’ailleurs de l’esprit du feu, de l’eau, des arbres, des nuages, de la pluie, etc. Pratiquement tout a un esprit et ils croient que tout dans cette existence est la demeure d’un esprit. Tout est un esprit, dans un sens, et donc ils respectent tout.
Je me souviens que, dans la culture tibétaine, quand vous voulez couper un arbre, vous ne le coupez pas juste comme ça. On entre dans un état de conscience où l’on voit que l’arbre est la demeure sacrée d’un esprit et on coupe l’arbre avec beaucoup de respect et de conscience. Je me souviens, lorsque nous voyagions dans les montagnes et nous trouvions près d’une source (autrefois, les tibétains voyageaient beaucoup à cheval), il n’y avait pas d’hôtels ou de restaurants dans les montagnes. Ce n’est pas comme si on avait pu attacher le yack et dire « allons manger dans ce restaurant. »
Beaucoup d’endroits étaient déserts à l’époque. Lorsque j’étais jeune, j’ai beaucoup voyagé à cheval et quand nous nous arrêtions, nous faisions notre propre cuisine, allumions du feu et faisions du thé. Nous trouvions souvent l’eau à une source et ces sources étaient pures et cristallines. Je me souviens que j’avais des réticences à prendre l’eau de ces sources car je ressentais qu’elles étaient la demeure des esprits. Ce n’est pas seulement mon expérience mais ce que nos ancêtres nous ont transmis : être attentif et respecter l’eau, les sources et même sentir qu’il y a de nombreux esprits qui dansent dans les sources. C’est ce que nous croyions. Nous y prenions donc l’eau.
De temps en temps, des lamas, des moines et des nonnes se rassemblaient et faisaient une cérémonie pour purifier tous les contaminants ainsi que tous les désordres, les confusions et les destructions qui se produisaient dans nos relations avec le monde de la nature. Nous comprenions déjà que beaucoup de ces déséquilibres, les pollutions dans la nature, étaient le résultat de l’activité humaine. Nous faisions donc des cérémonies pour dire à la nature que nous étions désolés, nous nous excusions auprès des esprits de la nature qui pouvaient être des nagas, etc. Il y a des listes d’esprits dans la culture tibétaine. Cela peut être étonnant et cela rend le monde intéressant de penser à toute cette liste d’esprits de la culture tibétaine.
Nous croyons aussi que lorsque l’harmonie est détruite dans cette relation, la relation entre nous-même et la nature, cela peut causer des maladies aussi bien physiques que mentales. Aussi, lorsque des gens sont malades ou ont des problèmes mentaux, on invite des lamas pour conduire les cérémonies et guérir les traumatismes qui ont pu se produire dans le monde naturel, toute la disharmonie, le déséquilibre qui a pu se produire dans cette relation. Je pense que beaucoup des problèmes, non seulement environnementaux mais aussi des problèmes mentaux et des crises spirituelles dont le monde moderne fait l’expérience, peuvent être en rapport avec la dégradation de l’environnement.  
Par exemple, je me souviens de la première fois où je suis venu aux Etats Unis, alors que j’avais grandi en Asie et qu’à l’époque l’Asie était plus pauvre( il y a trente ans), spécialement les régions himalayennes qui étaient beaucoup plus pures, il n’y avait pas là tant de modernisation. Je me souviens que lorsque je suis arrivé dans ce pays, pendant au moins un mois, je ne pouvais pas supporter le bruit. Il y avait tellement de bruit provenant des voitures, des autoroutes. Je pensais presque que ce bruit allait m’abimer les oreilles. Le temps passant, je me suis complètement habitué à ce bruit qui est pourtant une pollution. De nos jours, les scientifiques classent les catégories de pollution et la pollution lumineuse en fait partie.
De temps en temps, je vais dans les montagnes de Big Sur et je passe du temps dans ces montagnes, je me sens incroyablement heureux et détendu dans les montagnes sans aucune sorte de luxe. Je vis généralement dans un minuscule bungalow, sans aucun luxe. Je me sens tellement heureux et content. Vraiment heureux sans raison et je sens cette relation harmonieuse entre moi, la nature, l’univers. Parfois, le soir, je sors et je regarde ces corps célestes incroyablement enchanteurs, la voie lactée, les étoiles, et je réalise ce qui nous manque dans le monde moderne.
Nous manquons tellement, nous perdons tellement de joie, de miracles, de sacré dans le monde moderne, à cause de la pollution lumineuse. Il y a de nombreuses pollutions que nous pouvons pointer : bien sûr la pollution environnementale qui vient des gaz et de toutes sortes de substances chimiques ; ces pollutions ne causent pas seulement des crises environnementales mais aussi des crises mentales et psychologiques. Cela va continuer à poser toute sorte de problèmes sauf si nous corrigeons cela. Je pense que nous pouvons le faire.
Cela commence en premier lieu par l’élévation du niveau de conscience, ce que nous sommes en train de faire. Nous ne pourrons jamais dire qu’il n’y a plus rien à faire parce que nous avons déjà fait le travail. Il n’y aura pas un moment où nous pourrons dire : maintenant, on peut se détendre parce que nous nous sommes tous éveillés à ce problème. Le système va se corriger de lui-même. Cela ne va pas arriver.
Nous devons donc travailler dur, ensemble, et nous rassembler comme ici, faire tout ce que nous pouvons. Au minimum, nous pouvons élever le niveau de conscience et je crois aussi de tout mon cœur que ce genre d’événement à un impact très puissant sur la conscience collective. Même si en ce moment il y a quelques milliers de participants, ce qui est plutôt beaucoup, ce n’est pas beaucoup par rapport à la population mondiale ou au nombre de gens qui vont au concert rock. Ça ne fait pas tant de monde que ça mais c’est quand même inspirant d’avoir quelques milliers de personnes et je crois que ce que nous faisons en ce moment ne va pas juste se dissoudre à la fin de ce programme et va aller, voyager partout. Cela va voyager dans l’air pour ainsi dire et dans la conscience collective et tôt ou tard, nous verrons de plus en plus de personnes s’éveiller à cette réalité et commencer à comprendre la relation symbiotique entre toutes choses.
Il existe le concept de Ngo Chit. J’aimerais préciser ce terme, ce concept selon lequel le monde et les êtres humains sont totalement connectés les uns aux autres.  Nous devons penser que nous ne sommes pas ici pour quelques dizaines d’années mais pour très longtemps. Nos générations futures vont vivre ici pour longtemps. Parfois, on va entendre que des scientifiques ou des entrepreneurs disent que nous allons tellement faire de progrès scientifiques et technologiques que nous pourrons nous relocaliser sur une autre planète, coloniser une autre planète et avoir un autre paradis matérialiste et capitaliste mais je ne pense pas que cela va arriver.
J’ai entendu dire par des sages que c’est une plaisanterie et qu’il faut abandonner cette idée utopique que finalement, nous allons partir ensemble pour une autre planète. Beaucoup de scientifiques et de sages disent que c’est complètement impossible. Nous devons venir à la conclusion que nous allons rester ici pour toujours, sur cette planète, pour notre durée de vie et pour les générations futures, pendant beaucoup, beaucoup de siècles et de millénaires, je l’espère. Bien sûr, quelques personnes peuvent aller sur Mars et avoir là une communauté scientifique mais c’est une idée complètement farfelue de penser que nous pouvons tous nous déplacer et aller coloniser une autre planète, avoir un autre paradis capitaliste. Ce n’est pas ce qui va se passer.
Donc, nous ne devons pas seulement penser à nous-mêmes mais aux générations futures et savoir que tout ce que nous faisons maintenant aura un impact énorme, négatif ou positif, sur le bien-être de toute l’humanité. Pas seulement maintenant mais dans les nombreux siècles à venir. Je suis reconnaissant envers chacun de vous de participer à cette cérémonie et aussi de respecter les traditions anciennes. Je sens que vous respectez ces traditions et il s’avère que c’est quelque chose que les gens ont perdu.
Je sens que je fais partie de l’ancienne culture mais il me semble aussi que je suis un pont entre le monde moderne et la culture ancienne. Je pense que beaucoup d’entre vous sont ces ponts et je sens que parfois le monde moderne perd le respect de la culture anciennes, des traditions d’autrefois et des lignées et sagesses anciennes, des enseignements précieux.
Aussi, aujourd’hui, vous vous êtes tous rassemblés et montrez votre respect envers la nature, les espèces animales et toute l’humanité ainsi que les cultures anciennes qui ont tant à nous apprendre.

Merci à tous pour votre participation.

                                 











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